Orange ou bigarade ?

Article de Marie Josèphe Moncorgé, paru dans Aquisud le 26 janvier 2016.

Certains fruits et légumes comme la tomate, la pomme de terre, l’aubergine ou l’abricot ont beaucoup voyagé avant d’être cultivés dans nos jardins. D’autres, en supplément, semblent avoir changé d’apparence et de goût au cours des siècles.

La bigarade

Prenons par exemple la bigarade, une orange amère de la même famille que le citron (citrus aurantium). Fruit originaire de Malaisie, poussant spontanément sur les contreforts de l’Himalaya, la bigarade ressemble extérieurement à l’orange douce mais elle est très amère et doit être cuite ou confite pour être agréable à manger. C’est pourquoi on l’appelle aussi orange amère.

Oldcook : une orange et 3 bigarades

Une orange à gauche et 3 bigarades

Les fleurs du bigaradier sont utilisées pour faire l’eau de fleur d’oranger ou de l’huile essentielle, obtenue par distillation. Cette dernière s’appelle néroli. Ce nom vient de Marie-Anne de la Trémoille, princesse des Ursins, une aristocrate française du 17e siècle, qui épousa l’italien Flavio Orsini, prince de Nerola. Elle a mis à la mode l’essence de bigaradier et a baptisé ce parfum néroli, en hommage à son mari et à Nerola, une petite ville de la région de Rome que la famille Orsini dirigeait depuis le 13e siècle et où elle possédait le château Orsini.

Quand on trouve le mot orange dans les textes et les livres de cuisine médiévaux, il s’agit toujours de l’orange amère car l’orange douce, une variété différente (citrus sinensis) qu’on connaît de nos jours, n’arrive en Europe qu’au 16e siècle.

Le nom d’orange vient du persan nârang puis de l’arabe narendj, qui donne aussi naranja en espagnol et arancia en italien.

La cuisine gréco-romaine de l’Antiquité semble ignorer la bigarade : les pommes d’or du jardin des Hespérides ne sont pas des oranges, mais probablement des cédrats, les seuls citrons connus en Méditerranée dans l’Antiquité.

La cuisine arabo-persane emploie parfois l’orange amère en cuisine à partir du 13e siècle. Par exemple le livre de cuisine d’Alep au 13e siècle, al-Wusla, propose une recette de poulet à l’orange. La bigarade est aussi présente dans la cuisine arabo-andalouse du 13e siècle.

La culture de l’orange amère est attestée en Sicile en 1094 et Ibn Al-Awwam décrit sa culture en Andalousie au 12e siècle, dans son Livre de l’agriculture. Entre le 17e et le 19e siècle, la région de Menton produit des bigarades de manière quasi industrielle.

La cuisine médiévale européenne utilise parfois l’orange amère en cuisine. Le jus d’orange remplace parfois le jus de citron pour accompagner les poissons dans des recettes italiennes, catalanes et françaises au 14e et 15e siècle. L’orangeat est également confectionné : des oranges amères confites au miel ou au sucre.

Il semble que les premiers orangers plantés en France, en Bas Dauphiné et en Sud Drôme, soient en fait des bigaradiers.

L'orange

L’orange douce, a été rapportée de Chine par les Portugais au 16e siècle. Cela explique pourquoi l’orange douce est appelée burtuqâl en arabe, potakal en turc, portokali en grec.

Comme le bigaradier, l’oranger a besoin de chaleur pour pousser, c’est pourquoi on le retrouve en Espagne, en Italie, au Maghreb, en Grèce, en Turquie, en Egypte et en Israël. Les oranges françaises viennent principalement de Corse et de la région de Menton.

Dès l’arrivée de l’orange douce en France, ce beau fruit d’or est un produit de luxe que les nobles veulent avoir. Dès la Renaissance, et surtout à partir du 17e siècle, se créent des "orangeries" chauffées dans les châteaux qui en ont les moyens.

À Versailles, Le Vau construit une petite orangerie en 1663, remplacée entre 1684 et 1686 par une galerie voûtée de 150 m de long, construite par Mansart. Elle héberge en hiver 900 orangers.

Jusqu’à la deuxième guerre mondiale, l’orange est un fruit rare et cher, offert aux enfants à Noêl. Dans la cuisine classique, l’orange douce est souvent remplacée par la bigarade avant le 19e siècle et principalement utilisée dans les desserts et la confiserie au 19e siècle. Le célèbre canard à l’orange est une recette réalisée avec une sauce bigarade au début du 19e siècle et avec des oranges douces à la fin du 19e siècle.

Actuellement, l’orange douce est le deuxième fruit consommé au monde, après la pomme. Elle a supplanté la bigarade au point que cette dernière est maintenant un fruit quasi inconnu de la majorité des consommateurs. L’orange est arrivée dans le nouveau monde dans les bagages des Espagnols et des Portugais et s’est si bien adaptée que les premiers producteurs d’orange au monde sont le Brésil et la Floride.

Pour en savoir plus : La Méditerranée à table, tome 1, Marie Josèphe Moncorgé, TAMBAO 2013.


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