Libro de arte coquinaria
de Maestro Martino
Texte : Marie Josèphe Moncorgé
Maestro Martino est le cuisinier médiéval le plus connu d'Italie. On l’a dit longtemps originaire de Côme et on l’appelait Martino da Como, alors que son nom serait Martino di Rossi ou di Rubeis (Martino Rubro en latin, selon Platine). En fait, il serait né dans la vallée de Brenno (val di Blenio), dans le Tessin Suisse, qui dépendait, au Moyen Age, du duché de Milan. Depuis peu, on connaît mieux sa carrière professionnelle. Comme Taillevent, il a eu une longue carrière de cuisinier (peut-être 50 ans d’activité), mais avec une plus grande mobilité professionnelle.
Il a d’abord travaillé à Milan, au service de Blanche Marie Visconti, la femme de Francesco Sforza, duc de Milan (1457-1462). Puis il a été au service de Ludovico Trevisano, patriarche d'Aquilée (1462-1465). Ce cardinal vénitien, qui était aussi médecin, fut un des plus riches prélats du 15e siècle. Il avait une cour somptueuse à Rome, où officia Maestro Martino. Trevisano a été surnommé le cardinal Lucullus et sa table considérée comme la meilleur de Rome. A sa mort en 1465, Martino fut, pendant 20 ans, cuisinier secret (cuoco segreto) des papes Paul II puis Sixte IV (1464-1484, il aurait déjà travaillé en partie pour Paul II quand il était encore au service de Trevisano). Ce titre de cuisinier secret, qu’aura plus tard Bartolomeo Scappi, est donné, à la cour du Vatican, aux cuisiniers qui travaillent directement à l’élaboration des repas du pape, de ses proches et des invités de prestige. Les autres cuisiniers travaillent à la cuisine commune pour le personnel du Vatican. On a longtemps ignoré ce travail de Maestro Martino au service du pape. En effet, un des manuscrits est dédié à Trévisan, un autre à Trivulzio. Aucun n’est dédié à un personnage aussi prestigieux qu’un pape. Il faudra probablement attendre encore des découvertes complémentaires d’historiens pour confirmer avec certitude que le Maestro Martino cuisinier secret des papes est bien le Maestro Martino auteur du Libro de arte coquinaria.
Son dernier poste fut au service du condottière Gian Giacomo Trivulzio (1485 ?-1501). Cet emploi lui donna l’occasion de voyager, puisque Trivulzio est nommé à Naples en 1488. Les dernières indications de son activité professionnelle seraient le repas donné en 1501 à l’occasion du mariage de Niccolò fils de Trivulzio et comte de Mesocco, une vallée voisine de celle de Brenno, sa vallée d’origine. L’historien Bruno Laurioux se demande si Martino est revenu au pays pour y finir sa vie.
Maestro Martino est un bon exemple de la circulation des idées dans l'Europe médiévale : ce cuisinier italien a été influencé par le très catalan Sent Sovi et, en retour, on retrouve sa trace dans plusieurs recettes du cuisinier catalan Robert de Nola.
Per fare peverada di salvagina
(Maestro Martino Ms. Urbinate Latino 1203 - Cucina Italiana del' 400 / pag. 88)
(P)er fare buona peverada di capriolo ho lepore ho porcho salvatico ho daltra salvagina piglia tanta acqua quanto vino rosso e lavavi ben dentro la carne dapoi passa questa lavatura per la stamigna agiungendo tanto sale quanto ti pare necessario e poni aquocere la carne in la dicta acqua ho vino e quando e cocta chacciala fuora e volendone fare due piattelli togli una libra e mezo di uva passa e falla pestare moIto bene e togli altrettanto pane tagliato in fette bruscolato bene sopra la graticola e bene immollato in buono aceto e pestalo inseme con dicta uva passa et potendo havere del sangue ho vero la coratella della salvagina seria optimo pestarla con queste cose lequali ben peste si debbe distemperare con lo brodo di questa carne con un pocho di sabba cioe vino cocto in mosto e con laceto dove e moiato el pane. Dapoi passa questa materia per la stamigna in una pignatta giugnendoli spetie pepe gharofani e canella ho vero cenamo secondo che ti parera neccessario. Et questa peperata falla forte ho dolce di aceto e di spetie secondo el costume del gusto del tuo patrone ho vero commune gusto. Dapoi falla bollire per ispatio di meza hora sopra la bracia in modo che non habbia piu fuocho da una parte che da laltra (abbia lo stesso fuoco tutt'intorno) menandola spesse volte conlo chuchiaro di poi friggi la carne predicta con lo buono lardo e spartila ne piattelli e quoprila conla prefata peperata laquale quanto e piu nera tanto e piu bella.
En français : Poivrade de gibier, recette du concours Maître Chiquart
Maestro Martino a écrit le Libro de arte coquinaria (Livre d'art culinaire) soit vers 1450, soit vers 1460, selon les historiens (1464-1465 selon Bruno Laurioux). Une partie de ses recettes ont été reprises par Platine dans son livre De honesta voluptate, ce qui fait dire à Bruno Laurioux que la structure bien organisée et la logique culinaire du livre de Maestro Martino, innovantes dans la cuisine italienne, proviendraient de l’influence d’un lettré, donc de Platine. Cette hypothèse part du principe qu’un cuisinier médiéval, n’ayant pas fait d’études, ne peut avoir l’esprit aussi bien organisé qu’un intellectuel. Elle est contestée par d’autres historiens dont Térence Scully, qui a étudié un second cuisinier médiéval, lui aussi très innovant dans la forme de son livre de cuisine : Maître Chiquart.
Il reste peu de manuscrits de Maestro Martino. Mais un manuscrit, appelé Libro de cosina, conservé à la Bibliothèque de Riva del Garda, attribué à un certain Martino de Rossi dela Valle de Bregna et cuisinier de Trivultio, a permis de découvrir que le texte de Maestro Martino a été réaménagé et agrandi, probablement pendant qu’il était au service du condottière Trivulzio.
Le Libro de cosina présente, en particulier, 2 chapitres supplémentaires sur les pâtes : 5 recettes intitulées Per fare ogni rasone de macharoni et 4 recettes Per fare de ogni rasone raviolli. On y trouve également une recette d’aubergine, plusieurs recettes de cuisine gênoise et de cuisine romaine, toutes absentes des manuscrits antérieurs. On aimerait bien que le texte de ce nouveau manuscrit soit facilement accessible. Le manuscrit napolitain de la fin du 15e siècle connu sous le nom de Cuoco Napoletano présente beaucoup de recettes communes avec le Libro de cosina. Les 2 cuisiniers se seraient-ils rencontrés à Naples ? Plusieurs historiens le pensent.
Libro de arte coquinaria comprend 267 recettes classées en 6 chapitres : Le chapitre 1 donne 40 recettes de viandes. Le chapitre 2 englobe viandes, pâtes et soupes (menestre) en 60 recettes. Le chapitre 3 décrit 22 sauces. Le chapitre 4 donne 37 recettes de tartes et tourtes (sucrées et salées). Le chapitre 5 traite des beignets et œufs en 35 recettes. Et le chapitre 6 présente 73 recettes de poissons.
Edité par Emilio Faccioli à Milan en 1966 dans Arte della cucina. Libri di recette. Testi sopra lo scalco, il trinciante et i vini dal XIV al XIX secolo p.115-204. Ed. de Polifilo. Arte della cucina comprend également 2 autres textes : Anonimo Toscano et Anonimo Veneziano.
Texte complet en langue médiévale, Libro de arte coquinaria, Maestro Martino (sec. XV).
Libro de arte coquinaria de Martino a été imprimé (16 éditions entre 1516 et 1606) sous le faux nom de Opera nuova chiamata Epulario (Oeuvre nouvelle nommée Epulario) attribué à un certain Maestro Giovanni Rosselli francese.
Il s'agit en réalité d'un plagiat pur et simple de Martino : en voici un exemple concret : le mirrause catalano de Martino, dont la recette originale du mig raust provient du Sent Sovi.
1 - Recette de Maestro Martino - 1473
Per fare un mirrause catalano
In prima togli pippioni o pollastri, o capponi et acconciali como si fanno arrosto, et poneli arrostire nel speto, et quando siano mezzi cotti cavali fore et dividili in quarti; et dapoi dividi ogni quarto in quattro parti et poneli in una pignatta. Dapoi togli amandole bruschulate sotto la cenere calda, et nettale con un panno senza nettarle altramente, et pistale, et poi togli doi o tre fette di pane un pocho bruschulato, et tre o quatro rosci de ova, et pista ogni cosa con le amandole, et distemperale con un pocho de bono aceto et de brodo, et passale per la stamegna, et dapoi il metti nella dicta pignatta sopra la carne giongendovi de bone spetie, et maxime cannella assai, zenzevero, et zuccharo assai. Et dapoi metti la pignatta sopra la brascia et falla bollire per spatio d'una hora menandola sempre col cocchiaro. Et como sia cotto manda questa cotale mirrause ad tavola in piattelli o vero in menestre che serĂ piĂą conveniente.
Pour faire un mirause catalan
Tout d'abord prends des pigeons ou des poulets, ou des chapons et prépare-les comme pour les faire rôtir, et fais-les rôtir à la broche, à mi-cuisson retire-les et découpe-les en quartiers ; puis coupe chaque quartier en quatre morceaux et mets-les dans une marmite. Ensuite prends des amandes grillées sous la cendre chaude, et nettoie-les avec un chiffon sans les nettoyer autrement, et pile-les, puis prends deux ou trois tranches de pain légèrement grillé, et trois ou quatre jaunes d'œufs, et pile-les avec les amandes, et délaie avec un peu de bon vinaigre et de bouillon, tamise le tout, puis mets-le dans la marmite sur la viande en y ajoutant de bonnes épices, beaucoup de cannelle, du safran et beaucoup de sucre. Mets ensuite la marmite sur la braise et fais-la bouillir pendant une heure sans cesser de remuer avec une cuillère. Une fois cuit porte le mirrause sur la table dans des assiettes plates ou creuses ce qui sera plus adapté.
Traduction Suzanne Charre.
2 - Recette de Rosselli - 1518
Per fare un miraus catalano
Per fare miraus catalano. Dapprima prendi piccioni/o pollastri/o capponi: e preparali come si fanno arrosto e mettili ad arrostire allo spiedo e quando sono mezzi cotti cavali fuori e dividili in quarti: e poi dividi ogni quarto in parti e mettili in una pignatta: Dopo prendi mandorle bruscate sotto la cenere calda et nettala bene con un panno e senza pulirle altrimenti pestale: E poi prendi pane un po'abbrustolito: e tre o quattro rossi d'uovo e pesta ogni cosa con le mandorle e distemperale con un poco di buon aceto et di brodo passalo per lo staccio: e dopo mettili nella detta pignatta sopra la brace con la carne aggiungendovi delle buone spezie e massime cannella assai e zafferano e zucchero assai: e poi metti la spignatta sopra la brace e falla bollire per lo spazio di un'ora girandola sempre con il cucchiaio: e appena sia cotto metti questo cotale miraus in piattelli oppure in minestre e sarĂ piĂą conveniente.
Pour faire un miraus catalan
Tout d'abord prends des pigeons/ou des poulets/ou des chapons : et prépare-les comme pour les faire rôtir et mets-les à rôtir à la broche et à mi-cuisson retire-les et découpe-les en quartiers : ensuite coupe chaque quartier en morceaux et mets-les dans une marmite. Ensuite prends des amandes grillées sous la cendre chaude et nettoie-les bien avec un chiffon et sans les nettoyer autrement pile-les. Ensuite prends du pain légèrement grillé et trois ou quatre jaunes d'œuf et pile-les avec les amandes en délayant avec un peu de bon vinaigre et de bouillon. Tamise et mets le tout dans la marmite sur la braise avec la viande en y ajoutant de bonnes épices, beaucoup de cannelle, du safran et beaucoup de sucre : ensuite mets la marmite sur la braise et fais-la bouillir pendant une heure sans cesser de remuer avec une cuillère : une fois cuit mets ce miraus dans des assiettes plates ou creuses ce qui sera plus adapté.
Traduction Suzanne Charre.
3 - Comparaison des recettes Martino - Rosselli
La totalité des recettes de Maestro Martino est simplement présentée dans un italien modernisé, sous un autre nom. Ce qui n'est pas le cas de Platine qui fait une sélection de recettes en y ajoutant un petit commentaire et en annonçant ses sources.