Livres de cuisine médiévale

écrits en catalan

Texte : Marie Josèphe Moncorgé

Au 14e siècle, les premiers textes de cuisine médiévale en catalan ont été écrits avant le Viandier de Taillevent, le Forme of Cury et le Ménagier de Paris. La cuisine catalane est méconnue. Pourtant elle a beaucoup influencé la cuisine italienne.



Libre de Sent Sovi

Le Sent Sovi est un texte anonyme écrit en catalan, vraisemblablement en 1324, bien que le prologue annonce que le livre de recettes a été rédigé par un grand cuisinier qui était au service du roi d'Angleterre en 1024, sur les conseils de Pedro Felipe, écuyer royal ! Ce nom semble légendaire. La cour des Plantagenets au 14e siècle était-elle perçue comme plus prestigieuse que la cour catalano-aragonaise ? En fait, la tradition veut qu'on dédie son œuvre à un personnage prestigieux, pour mieux la valoriser.

On connaît deux versions de ce texte :

Le manuscrit le plus ancien présente majoritairement des recettes de cuines (plats qui se mangent avec une cuillère) : recettes de sauces (sauce cameline, escabèche, moutarde, etc.), de bouillons, de gruau, de farces (viandes ou poulpe farcis), de panades, quelques recettes de légumes (aubergine, carotte, laitue, asperges, épinard, porée). Quelques recettes échappent à un classement logique : une recette de noix vertes confites, deux recettes de perdrix à la broche et de blanc-manger qui sont en fait des conseils de cuisson.

Le second manuscrit reprend les recettes du premier manuscrit, en les développant et en rajoutant 150 recettes nouvelles.

Dans un premier temps, nous avons connu le Sent Sovi à travers la transcription réalisée par Rudolf Grewe, Els nostres classics n°115, ed. Barcino, Barcelone 1979. Ce livre de Grewe reprend en fait la version du 15e siècle avec les 222 recettes.

Un autre chercheur catalan, Joan Santanach, a fait paraître, chez le même éditeur en 2004, les deux versions du Sent Sovi. On peut ainsi comparer l'évolution de l'ouvrage. Le Llibre de totes maneres de potatges de menjar, outre les recettes de cuines du Sent Sovi abrégé, propose également des recettes de pitances (plats plus solides). Il débute par une série de recettes à base de viandes rôties ou d'abats, des conseils pour découper ces viandes : cette première partie semble destinée à des apprentis cuisiniers. Suivent ensuite des recettes de sauces, dont celles du premier manuscrit. Les techniques spécifiques de la cuisine catalane, le sofregit et la picada, sont également présentées.

Les recettes de céréales (froment, orge, avoine, riz) sont davantage développées dans le second manuscrit. On y trouve également 2 recettes de pâtes (alatria, de l'hispano-arabe atriya = pâtes de la famille des macaronis), 170 : Qui parla con se cou alatria et 171 : Qui parla con se cou carn ab alatria. Il y a également plus de recettes de légumes que dans le premier manuscrit, des recettes de poissons.

Quelques recettes sucrées qu'on pourrait classer recettes de dessert, sont aussi présentes dans les deux manuscrits : rissoles, beignets (bugnes), lesques de fromage.

Dans le Sent Sovi, certaines recettes s'inspirent de la tradition arabo-andalouse : on trouve ainsi davantage de recettes de légumes que dans les réceptaires francophones et anglophones, dont les premières recettes européennes d'aubergines, une spécialité arabe. 149 : Qui parla con se ffan albergínies ab let de amelles. 151 : Qui parla con se deuen coura albergínies en casola. 153 : Qui parla con se deuen aperellar de manjar altra manera de albergínies. Le lait d'amande est également un héritage arabe qui se transmettra à la cuisine médiévale européenne : il remplace avantageusement le lait, interdit d'utilisation les jours maigres.

Ce réceptaire était probablement connu par Maestro Martino et lui a inspiré certaines de ses recettes. Robert de Nola a également repris certaines recettes du Sent Sovi. La recette du mig-raust, originaire du Sent Sovi, se retrouve dans les livres de cuisine italiens des 15e et 16e siècle (Maestro Martino, Platine et Scappi).

Une traduction française des 72 recettes de la première version du Sent Sovi a été publiée au début 2013 : Le livre de cuisine de Sent Sovi, Editions de la Merci, traduction et présentation : Patrick Gifreu.

Capítol LIIII. Qui parla con se ffa mig-raust ab let de melles :
Si volls ffer mig-raust ab let de melles, se ffa en aquesta manera : Primerament mit gualines en ast. E aprés ages brou d'altres gualines, e del caldum de aquelles d'ast ffes bon brou ab cansalada; e aprés ages amelles perades, e ffé'nt let ab lo dit brou. E prin los ffetges e pique'ls bé, he destrempé'ls ab la dita let. E mit-ho a bollir ab bones espísies : pebre, gingebre, clavels, canella; e puys mit-hi agror he sucre blanch. E ffes-ho molt bolir en la dita salsa, tro que conegues que sia cuyta. E ffé'n escudellas ab les gualines ensemps; e si.t vols, posa per talladors les gualines. O si dónes menyar blanch, pots donar aquesta salsa ab les gualines qui.t romendran, so és a saber, caps he cols he cuxes he alerons he anques. Emperhò sofrig-les ab una casola ab grex de cansalada; e ffet asò, sien messes dins la salsa. E si per ventura no y volies metre del sucre, mit-hi de bona mel.

En français : Mig-raust au lait d'amande, recette du concours Maître Chiquart

Recette de cuisine : Poulet grillé au lait d'amande.

Capítol CXIIII. Qui parla con se ffa letugat ab let de amelles :
Si vols ffer letugat ab let de hamelles, se ffa axi : Prin letugues, sol lo blanc. E si no as asats letugues, pots-hi metre sebes blanques, e mit-les a coura. Et quant seran ben cuyetes, trau-les-ne, et mit-les en ayga ffreda; et puys prim-les entre 2 telladors, quax qui ffa fformatges. Puys, elles premudes, ages un bel morter, e pica-les bé; et mit-les a coura ab brou de moltó e de cansalada ho de quèt vulles. E cou-les en manera de carabaces. E quant deuran ésser cuytes, ages let de amelles que sia ffeta ab del millor brou que ages, e mit-la dins; e mit-hi fformatge tallat ho entregua ho con te vuylles. E sit vols ni te n'agrades, hi pots metra let de cabres en loc de la let de amelles.

Si on veut faire de la purée de laitue au lait d'amandes, on fait ainsi : prendre des laitues, seulement le blanc. Et si on n'a pas assez de laitues, on peut mettre des oignons blancs, et les mettre à cuire. Et quand elles seront bien cuites, les en retirer et les mettre à l'eau froide; et puis les presser entre 2 planches comme on fait pour les fromages. Puis les mettre dans un beau mortier, et bien les piler; et les mettre à cuire dans un bouillon de mouton et de lard ou de ce que vous voulez. Et les cuire à la manière des courges. Et quant ce sera cuit, prendre du lait d'amandes qui sera fait avec le meilleur bouillon que vous avez et mettre les laitues dedans; et mettre du fromage râpé ou assaisonnez comme vous voulez. Et si cela vous plait, vous pouvez mettre du lait de chèvre à la place du lait d'amandes.

Recepta catalana : Puré d'enciam amb llet d'ametlles
Recette catalane : Purée de laitue au lait d'amandes

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El libre del coch de la Canonja de Tarragona

Le livre du cuisinier de l'évêché de Tarragone a été écrit en 1331 par le cuisinier de l'évêque de Tarragone.



El libre de ventre

Ce livre a été écrit au début du 14e siècle au monastère de Ripoll.

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Com usar de beure e menjar

Francesc Eiximenis (1337 - 1409) est plus connu comme théologien que comme gastronome, mais nous sommes à une époque ou les théologiens s'occupent aussi de diététique et les médecins de philosophie. Dans son oeuvre El Cristià en 13 volumes, il consacre un volume entier à l'art du bien boire et bien manger (1384).

Com usar bé de beure e menjar, traduit en français par Patrick Gifreu sous le titre L'art de manger, boire et servir à table (Editions de la Merci, 2011), comporte 46 chapitres, qu'on peut regrouper en 3 thèmes :

1 - Boire : plusieurs chapitres sur l'ébriété, mais aussi des enseignements sur la manière de boire avec modération pour la santé et la joie de l'homme.

L'ivrognerie crée des problèmes relationnels : L'homme qui ne parvient plus à articuler convenablement sous l'emprise de l'ébriété, doit quitter sa compagnie et recourir aux remèdes cités (ch4). Mais le vin est bon pour la santé : Bu de manière modérée, le vin permet à l'homme de vivre en bonne santé. Il le maintient tempéré et en bon état (ch15).

Le chapitre 11 donne une bonne aperçue des vins consommés à l'époque en Europe : moscatel, malvoisie, vin corse, vernaccia (grenache), vin calabrais, picpoul de Majorque, roussette ou clairette d'Avignon...

2 - Manger : plusieurs chapitres sur la gourmandise et la gloutonnerie, mais aussi l'art de bien manger.

Nous ne trouvons pas à proprement parler de recettes dans ce livre d'Eiximenis, mais de précieux renseignements sur la vie pratique et les coutumes des catalans et des pays limitrophes (bien sûr inférieures à celles des catalans !). Nous apprenons ainsi com catalans mengen pus graciosament e ab millor manera que altres nacions : comment les catalans mangent avec plus de grâce et de meilleure manière que les autres nations.

Nous avons également de nombreux détails sur le rythme des repas, le choix des aliments selon les saisons, le choix des vins en fonction des plats, avec un fort éloge des Catalans, car la nation catalane est la meilleure... Les Français et les Lombards font une grande consommation de vin tout en reconnaissant que ce sont les Catalans qui en font le meilleur usage… les Catalans observent un ordre meilleur dans la succession des plats (ch29).

3 – A table : sous ce titre, nous regroupons les conseils sur l'art de se tenir à table ou d'éviter la vulgarité, mais aussi les recommandations pour le service de table et la façon de servir les plats ou le vin.

Cette partie se rapproche donc des Courtoisies de table, en donnant les règles de politesse et du bien se comporter à table : Nuyls temps no faces casteyll de sopes en l'escudella, car gran golafria és : Ne fais pas de château dans l'écuelle avec les morceaux de pain, c'est signe de gloutonnerie (ch35).

Francesc Eiximenis, moine franciscain catalan, né à Gérone, a parcouru l'Europe (Cologne, Rome, Oxford, Avignon, il est mort à Perpignan). Moraliste, il condamne l'ivrognerie et la goinfrerie. Il insiste sur l'ébriété des ecclésiastiques : peut-être a-t-il été témoin de cela. Mais il le fait parfois avec beaucoup d'humour. En témoigne une lettre d'un curé friand à son médecin (ch 11) : il se plaint de ne pas être en bonne santé et de ne rien pouvoir avaler. Il précise son régime : fougasse et vin cuit le matin, pain et viandes variées au déjeuner, suivies de flans, galettes, poissons, riz, fruits secs, électuaires en collation, avec sirops, vins et œufs au dîner. Et pour conserver la santé, il connaît les femmes charnellement, de manière assidue ! Le médecin qui lui répond parle de lettre insensée.

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El libre de totes maneres de confits

Le livre des différentes sortes de confiseries a été trouvé dans un manuscrit du 15e siècle, conservé à la Biblioteca Universitària de Barcelona (Ms 68). Ce manuscrit renfermait plusieurs textes dont le Llibre de totes maneres de potatges de menjar, que Rudolf Grewe, grand spécialiste de cuisine catalane médiévale, désignait sous le nom de manuscrit B du Libre de Sent Sovi.

Le Llibre de totes maneres de confits a vraisemblablement été écrit au milieu du 14e siècle par un auteur anonyme. Il présente 33 recettes de fruits confits : pastèque, amandes, citrons, coings, raves et panais, carottes, pêches, pommes, poires, noix vertes, dates, cerises ainsi que d'autres douceurs (massepain, pignolat, touron et casquetes), s'inspirant des confiseries arabo-andalouses. On trouve 2 versions de fruits confits : cuits au miel ou au sirop de sucre.

Texte complet en langue médiévale : Libre de totes maneres de confits. Un tratado manual cuatrocentista de arte de dulcería. In: Boletín de la Real Academia de Buenas Letras de Barcelona 19 (1946) 97-134.

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De apereylar be de menyar ou Llibre d'aparellar de menjar

Manuscrit de la fin du 14e siècle ou du début du 15e siècle, écrit en catalan. Manuscrit trouvé depuis peu à la Biblioteca de Cataluna à Barcelone (Ms.2112), dans lequel on trouve aussi une version "primitive" du Libre de Sent Sovi.

Ce manuscrit comprend environ 167 recettes et semble s'inspirer de certaines recettes du Sent Sovi et du Llibre de totes maneres de confits.

Une édition papier serait actuellement en préparation (Cristina Borau, Els Nostres Clàssics) et le texte devrait être aussi bientôt mis en ligne par un américain. Nous pourrons alors mieux en parler.



Libre del coch (Robert de Nola)



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