Légumes en Europe médiévale

Texte : Marie Josèphe Moncorgé

Il ne suffit pas de reconnaître comme comestibles des fruits et des légumes pour qu'ils soient consommés. Ils sont le symbole d'un statut social ou des idées d'une époque sur la diététique : la période médiévale réservait les légumes (trop proche de la terre) à la consommation populaire et préférait la consommation des fruits (plus aériens, donc proche du ciel) pour les élites. D'après Jean Louis Flandrin, on trouve seulement 9 % de recettes de légumes dans les livres de cuisine du 14e et du 15e siècle, contre 21 % à partir du 18e siècle. On trouve également davantage de recettes de légumes dans les livres du bassin méditerranéen (Italie, Catalogne) : survivance des traditions romaines et influences de la culture arabe pour les pays du sud, influence des traditions germaniques pour les pays du nord ?

La consommation des plantes comestibles dépend également de leur présence dans un lieu donné et à une époque donnée. Lorsqu'on se réfère à la liste des plantes dont la culture est recommandée, vers 800, par le capitulaire de Charlemagne (De villis vel curtis imperialibus : des terres et cours impériales, paragraphe 70), on peut faire des observations très instructives :

Légumes en Europe médiévale

Légumes classés dans les herbes à porée :

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Artichaut et cardon

légumes en Europe au Moyen Age : cardon

Cardon, photo : Marie Josèphe Moncorgé.
Artichaut : famille des composées, genre Cynara scolymus
Cardon : famille des composées, genre Cynara cardunculus

Les chardons épineux du bassin méditerranéen sont à l'origine de 2 plantes comestibles, probablement d'abord consommées à l'état sauvage, puis cultivées et souvent confondues dans le passé : l'artichaut et le cardon. Ces 2 plantes aiment les climats doux, c'est pourquoi l'artichaut est surtout cultivé en Italie, en Espagne et en France (principalement dans le Midi et en Bretagne). Le cardon est surtout cultivé en Rhône Alpes (François Couplan le met dans la liste des légumes oubliés).

Pline l'ancien parle de la culture du carduus à Carthage et à Cordoue et Columelle cite le cynara cultivé en Andalousie, au 1e siècle après J.C. Apicius donne 7 recettes de sfondili et 3 recettes de cardui (Livre III, XIX et XX). Sfondili et cardui sont traduits par fonds de cardons et par cardons par Jacques André (édition 1987). Mais Michel Pitrat et Claude Foury (Histoire de légumes, INRA, 2003) estiment que sfondilus doit probablement être traduit par artichaut et carduus par cardon. Des mosaïques de Tunisie montrent des capitules d'artichaut, mais le capitule de cardon est étrangement voisin de celui de l'artichaut !

Le mot cynara disparaît du vocabulaire latin alors que le mot carduis devenu carde et cardon en français se maintient pendant tout le Moyen Age. La blette à carde (à larges côtes) n'a aucun rapport avec le cardon et n'est pas connue avant le 17e siècle.

En revanche on est certain de l'existence de l'artichaut en Andalousie à partir du 10e siècle sous le nom d'harschaf. L'artichaut arrive en Navarre et en Italie au 15e siècle. Il s'appelle carcioffola en italien et cachofa en espagnol, carxofa en catalan. Il est cultivé en Languedoc au 16e siècle. Rabelais et Ronsard en parlent et l'appellent déjà artichaulx ou artichôs. L'artichaut a alors la réputation d'être un aphrodisiaque.

Olivier de Serres décrit la culture de la carde et de l'artichaut en Vivarais en 1600. Le cardon est traditionnellement mangé à Noël en Provence et en Dauphiné.

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Aubergine

légumes en Europe au Moyen Age : aubergine du Tacuinum sanitatis

Aubergines, Tacuinum sanitatis in medicina (extrait) Codex Vindobonensis series nova 2644 der Oesterreichischen Nationalbibliothek (Bibliothèque nationale d'Autriche)
Aubergine : famille des solanacées, genre Solanum melongena.

Elle s'appelle vatin gana en sanscrit, badindjan en persan, al badin jan en arabe et alberginia en catalan. Car elle vient d'Inde. Les premières recettes de moussaka font partie de la gastronomie arabo-persane et les arabes ont acclimaté l'aubergine dans l'Espagne musulmane. Il y a de nombreuses recettes d'aubergine dans les livres de recettes arabo-persanes et arabo-andalouses, en particulier dans le Baghdad Cookery Book (1226) et l'Anonyme andalou (début du 13e siècle). On trouve 4 recettes d'alberginia dès 1324 dans le Sent Sovi, 3 recettes chez Robert de Nola à Naples au début du 15e siècle, mais il faut attendre 1750 pour que le mot aubergine fasse son apparition en français ! En effet, pendant plusieurs siècles, l'aubergine a été essentiellement consommée en Espagne, en Grèce et en Italie du Sud. Les Français s'en méfiaient, car, comme la tomate encore inconnue en Europe et dont on se méfiera longtemps, l'aubergine fait partie de la famille des solanacées et s'apparente à la dangereuse belladone. Le botaniste allemand Leonhart Fuchs dit au 16e siècle : le nom seul d'aubergine doit effrayer ceux qui ont souci de leur santé.

Les aubergines du Sent Sovi sont cuisinées en gratin avec du fromage :

Capitol CLI. Qui parla con se deuen coura albergines en casola
On prend les aubergines et on les pèle et puis on les cuit. Et quand elles sont cuites, les mettre dans l'eau froide et puis les presser entre 2 tranchoirs. Prendre une cassole en terre et y mettre les épices et l'eau; ajouter du bon fromage (blanc ?) et mélanger le tout. Et puis, quand tout est mélangé dans la cassole, prendre les aubergines, les mettre dans la cassole de fromage et la porter au four. Et cuire au four comme pour faire cuire un flan. Et si on ne veut pas les porter au four, les cuire à la braise sur un trépied, et poser dessus un couvercle avec de la braise.

Carte du voyage de l'aubergine

Le voyage de l'aubergine

Pour en savoir plus : Article paru sur Aquisud

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Carotte

Carotte : famille des ombellifères ou apiacées, genre Daucus carota.

La carotte sauvage est présente dans toute l'Europe, une partie de l'Asie et en Afrique du nord. Mais il est difficile de repartir de sa variété sauvage pour aboutir à la carotte potagère, comme l'a prouvé Philippe-André de Vilmorin vers 1830 (cf le Jardin des Hommes, J.B. de Vilmorin, 1991).

La carotte est restée longtemps une racine longue, jaune et ligneuse. Apicius donne 3 recettes de carotae (Liber III - XXI - 1 à 3) : frites, avec du garum au vin, en vinaigrette, ou bouillies et cuites avec une sauce au cumin. Les carottes (carvitas) figurent dans la liste des légumes dont la culture est recommandée par Charlemagne dans le capitulaire De villis vel curtis imperialibus (des terres et cours impériales). Ibn al-Awwam, dans son livre de l'agriculture, cite au 12e siècle 2 espèces de carottes : la rouge (déjà présente en Syrie au 4e siècle) et une variété plus grosse et moins bonne, vert-jaune. En réalité les occidentaux connaissent une carotte fibreuse jaune ou rouge, jusqu'au 17e siècle, où fut inventé en Hollande la carotte appelée Longue-Orange, à l'origine des carottes modernes orange que nous connaissons. Il faut attendre le début du 19e siècle pour que la production de carottes modernes se développe en France.

La carotte fut souvent confondue avec le panais. Les recettes d'Apicius sont intitulées carotae sev pastinacae (carottes ou panais). La carotte se traduit en catalan par pastanaga, proche de l'espagnol et du latin pastinaca (panais).

La carotte est peu présente dans les recettes médiévales occidentales, plus fréquentes dans le Bagdad Cookery Book ou la cuisine arabo-andalouse. Il y a 2 recettes comportant des carottes dans le Liber de Coquina : le composé lombard et le composé teutonique (V, 11 et 12). Le Sent Sovi a une recette de carottes blanches au lait d'amandes (pastenagues blanques : Qui parla con se ffa pastenegua ab let de amelles, CXIII). Le Ménagier de Paris la cite dans la rubrique Autres menues choses qui ne sont pas de nécessité et conseille de la faire cuire comme les navets. Il décrit les carottes comme des racines rouges que l'on vend aux Halles par poignées.

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Chou

légumes en Europe au Moyen Age : chou Vilmorin

Chou de Milan, Album Vilmorin - lithographie 1862.
Chou : famille des crucifères, genre Brassica oleracea.

Origine : une plante sauvage vivace de 60 cm à 1 m de haut, qu'on trouve habituellement sur les côtes rocheuses et les falaises d'Europe occidentale et méditerranéenne, jusqu'au Proche Orient. Elle est cultivée depuis 5 ou 6 000 ans. A partir du chou sauvage, on recense plus de 400 variétés de choux : chou pommé vert ou rouge, chou frisé, chou-fleur, chou de Bruxelles, brocoli, et de très nombreuses variétés régionales dans chaque pays d'Europe...

Le chou pommé était déjà cultivé à l'époque de Jules César. Le chou-fleur, originaire des bords de la Méditerranée orientale, était appelé chou syrien dans l'Andalousie arabe du 12e siècle. Olivier de Serres en 1600 dans le théâtre d'agriculture et mesnage des champs parle des cauli-fiori, ainsi dicts des Italiens, encore assés rares en France.

Les romains mangeaient déjà l'équivalent du brocoli actuel : Apicius donne plusieurs recettes de cimas et coliclos (brocolis et pousses de choux). Le chou de Bruxelles est apparu au 16e siècle, mais s'est vraiment développé, sous sa forme actuelle, seulement à partir du début du 19e siècle.

Dans la classification hippocratique médiévale, le chou est un aliment humide. Le poète Macer Floridus (10e siècle) dit : Quoique ce soit une plante vulgaire de nos jardins, le chou ne laisse pas d'avoir un grand nombre de vertus salutaires. Suivant Caton, les Romains l'employèrent comme médicament pendant 600 ans. (Cité par Laetitia Bourgeois-Cornu in Les Bonnes Herbes du Moyen Age).

Le chou, légume populaire, ne fait pas habituellement partie des légumes utilisés dans les recettes de porée ou de potage de la gastronomie médiévale. On trouve en revanche, dans le Ménagier de Paris (n° 53) un long paragraphe pour décrire 5 espèces de choux, leur période de récolte et comment les accommoder : Et sachez qu'il faut mettre les choux sur le feu tôt le matin et les cuire très longuement, et plus longuement que nul autre potage, et a bon feu fort; ils doivent tremper en graisse de boeuf et pas une autre - qu'ils soient choux pommés ou une autre variété, sauf les choux de remontée. Sachez aussi qu'un bouillon gras de boeuf et de mouton convient bien mais pas celui de porc qui n'est bon que pour les poireaux.

Le chou à choucroute.

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Courge médiévale européenne

légumes en Europe au Moyen Age : gourde du Tacuinum sanitatis

Gourde du Tacuinum sanitatis
Tacuinum sanitatis in medicina (extrait) Codex Vindobonensis series nova 2644
der Oesterreichischen Nationalbibliothek (Bibliothèque nationale d'Autriche).
Famille des cucurbitacées, genre Cucurbita lagenaria vulgaris siceraria

Michel Chauvet, chercheur à l'INRA de Montpellier fait remarquer que : Il faut éviter à tout prix l'anachronisme, qui consiste à croire que les types modernes existaient de tout temps et que ce sont eux qu'il faut retrouver chez les anciens.

La courge en est un parfait exemple : le Ménagier de Paris explique longuement comment cultiver les courges (Le jardinage II, ii - 19), il donne une recette de courges (autres potages clairs aux épices, 63); la courge s'appelle congorde chez Taillevent et se consomme en potage; la courge se consomme en tarte et s'appelle zucche chez Maestro Martino; le Sent Sovi propose plusieurs recettes de carabaces...

Et pourtant la courge (comme le haricot) est inconnue en Europe au Moyen Age ! Puisqu'elle vient d'Amérique.

Car la courge médiévale européenne n'est pas la courge ou la citrouille que nous connaissons maintenant (Cucurbita pepo), mais la gourde qu'on appelle parfois courge calebasse (au risque de la confondre avec la calebasse africaine) ou cougourde, originaire d'Asie méridionale. D'après Michel Chauvet, les jeunes fruits de la gourde sont parfaitement comestibles comme courgettes. On trouve d'ailleurs encore des graines de Lagenaria chez des grainetiers spécialisés.

La gourde est connue sous le nom de cucurbita depuis l'Antiquité : Apicius propose un chapitre spécial avec 8 recettes de cucurbitas (LIII-IV), les cucurbitas font partie de la liste du Capitulaire de Charlemagne De Villis. Linguistique : cucurbita a été transformé en cohourge qui a donné courde puis, à partir du 13e siècle aussi bien gourde que courge. Pour les gens du Moyen Age, gourde et courge sont le même légume. Pour nous il s'agit de 2 variétés différentes !

Toutes les courges modernes sont du genre cucurbita et sont originaires d'Amérique. Elles sont arrivées en Europe au 16e siècle et ont progressivement remplacé les courges calebasse à partir du 17e siècle.

Olivier de Serres, en 1600, cite la courge dont on mange les jeunes fruits, la cougourde utilisée comme récipient (dans les deux cas, la courge calebasse) et la citrouille (du mot citrus pour indiquer la couleur jaune) venue du Royaume de Naples et d'Espagne. La courge calebasse semble ne plus être mangée à partir du 19e siècle.

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Melon

légumes en Europe au Moyen Age : melon du Tacuinum sanitatis

Melons doux, Tacuinum sanitatis in medicina (extrait)
Codex Vindobonensis series nova 2644 der Oesterreichischen Nationalbibliothek (Bibliothèque nationale d'Autriche)
Melon : famille des cucurbitacées, genre Cucumis melo.

Il est originaire d'Asie ou d'Afrique du Sud. Les variétés actuelles connues viendraient du Caucase et d'Arménie. Le melon était déjà consommé en Egypte ancienne, chez les grecs et chez les romains.

Il y a parfois des confusions de vocabulaire pour désigner l'espèce Cucumis melo. Michel Chauvet, chercheur à l'INRA de Montpellier fait remarquer aussi que : Il faut éviter à tout prix l'anachronisme, qui consiste à croire que les types modernes existaient de tout temps et que ce sont eux qu'il faut retrouver chez les anciens.

En effet, la reproduction de melon du Tacuinum montre un melon d'une forme allongée très différente des melons actuels et confirme les difficultés d'identification rencontrées par les chercheurs. Il y a également confusion de vocabulaire entre concombre, melon, pastèque et courge dans l'Antiquité et au Moyen Age.

Michel Chauvet explique : Pour Pline (19, 64-68), quand les concombres ont acquis un volume considérable, on les appelle pepones. Ce nom a donné un dérivé grec melopepôn (d'où le latin melopepo), signifiant melon-pomme, dont Pline nous dit qu'il s'agit d'une variété nouvelle ayant la forme d'un coing, qui prend sur le sol une forme ronde et est doré... La seule recette que donne Apicius (recette 85) est intitulée Pepones et melones, que le traducteur Jacques André a rendu par Pastèques et melons. Je pense qu'il a choisi pastèque parce que melon était déjà rendu par melones. Mais à mon avis, il s'agissait de deux types de melons. En note, André précise que la recette concerne probablement des fruits cuits (en compote) et non crus, et il ajoute que on sait qu'on faisait cuire les pastèques (Dioclès de Caryste ap. Athénée, 68e). Cette affirmation montre qu'il ne s'agissait probablement pas de nos pastèques modernes (rouges et très aqueuses). S'il s'agit d'un type de cultivars de Citrullus lanatus, ce serait plutôt le citre [ou gigerine] (à chair blanche, dont on fait des confitures de nos jours), ou de types récoltés immatures (pourquoi pas ?). Mais je pense que c'était plutôt un type de gros melon inodore.

Apicius propose donc une recette de Pepones et melones (gros melons et melons) : poivre, menthe pouliot, miel ou vin paillé, garum, vinaigre. On ajoute aussi parfois du silphium (III-VII).

Des moines italiens ont cultivé et amélioré le melon, à la Renaissance, dans une résidence papale d'été : Cantalupo. Le melon cantaloup s'est ensuite acclimaté dans la région d'Avignon (melon de Cavaillon). La Quintinie cultive le melon sous serre à Versailles. Au 17e siècle, on distinguait en France les pompons, à gros fruits oblongs sans saveur, et les melons, à fruits ronds sucrés. On comptait 65 variétés de melon à la fin du 19e siècle.

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Panais

légumes en Europe au Moyen Age : panais

Photo : Jacques Bouchut
Panais : famille des ombellifères ou apiacées, genre Pastinaca sativa.

Comme la carotte, le panais sauvage a une racine blanchâtre et ligneuse. On le consommait déjà 2 000 ans av. J.C. Dans les textes anciens, on ne sait pas toujours s'il est question de panais ou de carotte. Apicius donne les mêmes recettes pour carotae sev pastinacae (carottes ou panais). Mais le capitulaire de Charlemagne fait nettement la distinction entre carvitas et pastenacas. On trouve 2 recettes de panais en pâté (escheroy) dans le Ménagier de Paris (161 et 267).

Légume oublié ou dévalorisé en France, le panais est un légume encore très consommé en Grande Bretagne ou dans la péninsule Ibérique. La racine charnue du panais est plus grosse que celle de la carotte. Elle se cuisine comme la carotte.

La Méditerranée à table


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Vegetables in Medieval Europe