Hypocras
Texte : Marie Josèphe Moncorgé
Ypocras, ypocrasse, hipocras, hipocrás, hippocrass, ipocras, ippocrasso, hypocras, hypporcas, les orthographes et les recettes sont multiples pour cette boisson de la gastronomie médiévale européenne, qui a connu un grand succès jusqu'au siècle de Louis XIV.
Viandier de Taillevent : recette d'ypocras
Au Moyen Age, l'alcool fort est encore du domaine médical (seuls les médecins et les apothicaires ont des alambics), on a donc l'habitude de boire, en apéritif et surtout en digestif, des vins épicés.
Contrairement à la pratique médiévale habituelle en matière de recettes, ces vins épicés ont des proportions précises, car ils sont considérés comme des éléments importants de la diététique médiévale.
Ypocras et issues de table
(BnF, Ms fr 938 fol 69)
Les vins épicés sont des apéritifs ou des digestifs :
- au sens moderne : le plaisir d'une boisson agréable et un peu forte en début ou en fin de repas;
- et au sens médical : une boisson utile pour favoriser la digestion.
1 - Légende et réalité
Quelques légendes autour de l'hypocras
- L'Ypocras aurait été inventée par le médecin grec Hippocrate, au 5e siècle avant J.C, d'où ce nom, en référence à Hippocrate. La recette aurait été redécouverte pendant les Croisades : les Croisés l'auraient rapportée de Palestine ou de Grèce, ce n'est généralement pas précisé.
- Au Moyen Age, les vins se conservaient mal. On a mis des épices dans du vin pour masquer le goût de bouchon et du sucre pour cacher l'acidité des vins médiévaux qui ne se conservaient pas.
- Le mot hypocras viendrait aussi du grec hypos "sous" et crasis "mélange" ou du grec hupokeraston : légèrement mélangé.
En réalité, l'hypocras est l'héritier de la tradition des vins épicés de la Rome antique.
Quatre hypothèses pour le nom
- Il viendrait du bas latin vinum hippocrasticum (vin d'Hippocrate), en référence aux vins épicés romains.
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Il peut aussi provenir du filtre utilisé par les apothicaires pour filtrer les liquides, dont les vins aromatisés. Ce filtre était appelé chausse ou manche d'hypocras (réputée inventée par Hippocrate) : un cône en étoffe, dont l'ouverture était cerclée de bois ou de métal. Or la filtration des épices est une étape indispensable à la réalisation de l'Ypocras.
La chausse d'hypocras servait aussi à désigner un cachot en forme d'entonnoir renversé, où les prisonniers étaient les pieds dans l'eau, avec impossibilité de se tenir debout ou couché. Il y avait un tel cachot au Grand Châtelet de Paris, une forteresse-tribunal détruite en 1802 et située sur l'emplacement actuel de la place du Châtelet. Les notes qui suivent le livre publié en 1780, contenant les textes du Forme of Cury (1390) et de Ancient Cookery (1381) renforcent cette deuxième hypothèse (p.160) : It took its name from "Hippocrates' sleeve", the bag or strainer, through which it was passed (Son nom vient de la "manche d'Hippocrate", la poche ou passoire, à travers lequel il était passé [pour filtrer les épices]). - L'hypocras serait une altération de borgeraste ou borgerafre qui a donné bochet, un breuvage pour malades dont le Ménagier de Paris donne une recette : un mélange d'eau, miel et épices mis à fermenter. C'est une boisson du peuple proche de l'hydromel qui peut aussi être faite avec de la bière, du vin ou du cidre, avec des épices ou des herbes aromatiques.
- Hippocrate, le célèbre médecin grec, s'écrit Hipocràs en catalan moderne et Ipocràs en catalan médiéval. Arno de Vilanova (ou Arnaud de Villeneuve), le célèbre médecin catalan qui a écrit en 1307 Regiment de sanitat (règles de santé), cite Ipocras et donne également une recette de piment. Il a enseigné à Montpellier. On peut donc supposer qu'un épicier (vendeur d'épices) de Montpellier, parlant catalan et habile commerçant, aurait rebaptisé le pimen en ipocras ou ypocras (les orthographes les plus anciennes), en référence à Hippocrate, confirmant ainsi l'orientation nettement diététique du vin épicé. Nous avons de fortes présomptions pour l'origine catalane du mot hypocras, en référence à Hippocrate, et probablement un bon exemple de marketing commercial avant l'heure !
Venditore di pani di zucchero, Tractatus de herbis, 1458
c. 142r del codice Lat. 993=alfa.L.9.28
Modena, Biblioteca Estense Universitaria
Su concessione del Ministero dei beni e delle attività culturali e del turismo
2 - A l'origine : les vins épicés
On a retrouvé les premières traces de vin dans des amphores de la région des monts du Zagros, en Iran. Ces poteries dataient de 5400-5000 avant J.C et contenaient des traces d'acide tartrique, un des composants du vin. On a retrouvé les premières traces d'épices (gingembre et curcuma) dans des marmites d'il y a 4500 ans, dans un site archéologique de la vallée de l'Indus, au Pendjab (civilisation harappéenne, Pakistan).
Les premiers vins épicés sont plus anciens que ce qu'on disait jusqu'à présent : on a retrouvé en 2013 une véritable cave à vin (40 jarres de 2000 litres, soit l'équivalent de 3000 bouteilles) dans les ruines du palais de Tel Kabri au nord d'Israël. Le palais, situé en pays de Canaan, présentait des fresques de la civilisation minoenne (civilisation de Crète et de Santorin, entre –2700 et -1200). Les jarres dataient de –1700. Elles avaient contenu du vin aux épices : on a retrouvé des traces de cannelle, miel, baies de genièvre, et menthe, ainsi que de l'huile de cèdre et de pistache (probablement utilisées pour la conservation). Les mêmes traces de vin épicé ont été également trouvées dans un autre palais en Irak. Cette découverte confirme qu'à l'âge du Bronze, on consommait déjà du vin épicé. C'était un vin de luxe, réservé aux tables royales, en Canaan et en Mésopotamie.
Les romains continuent la tradition des vins épicés : Pline l'Ancien, dans le Livre XIV-n° 107 de son Histoire Naturelle, parle de vin aromatique préparé presque comme les parfums et donne 3 compositions de ce vin, dont l'une contient : roseaux (acorus calamus ou roseau odorant), joncs (cymbopogon Schoebabthus ou jonc odorant), costus, nard syriaque, amome (une variété de cardamome), cannelle, cinname (ces 2 mots désignent la casse ou fausse cannelle et la cannelle vraie), safran, palmier (noix de Ben) et asarum (probablement du nard).
On trouve également, au début du De Re Coquinaria d'Apicius, une recette de vin merveilleux aux épices (Livre I - I.1) et une recette de vin miellé aux épices pour le voyage (L I - I.2). Les pays méditerranéens ont-ils conservé et développé cette tradition de vin épicé : Catalogne française ou espagnole, région de Montpellier ? Ces vins épicés s'appellent piment ou pimen en catalan et en langue d'oc, claretum, garhiofilatum (giroflé) ou pigmentum en latin, claret en français. Si le mot piment semble faire référence au piment (plante potagère à saveur forte et piquante, encore inconnue en Occident au Moyen Age car venant d'Amérique), le piment vient en réalité du bas latin pigmentum : aromate ou épice.
3 - Le pimen
Vers 1182, Chrétien de Troyes fait boire à son héros Perceval du pimen, en fin de repas, dans la scène fameuse de la présentation du Graal :
Après ce burent de main boivre :
Piument ou n'ot ne miel ne poivre,
Et viez moré et cler syrop.
Ils burent ensuite différentes boissons :
Piment où il n'y a ni miel ni poivre
Et vieux vin de mûre et clair sirop.
(Le roman de Perceval, v.3331-3333).
Le pimen est cité dans Le roman de Flammenca, écrit en langue d'oc vers 1240 :
Assaz an neulas e pimen
E raust e fruchas e boinetas
La table fut garnie de gaufres, de piment,
de rôti, de fruits, de beignets (v. 944-945)
En 1250, le roi Henri III d'Angleterre ordonne à un certain Robert de Montpellier d'accourir en toute diligence à York, pour qu'avant la fête de Noël qui approche, il prépare, ainsi qu'il l'a fait les années précédentes, le giroflé et le claré, destinés à l'usage du roi. (Robert Dion, in Les fêtes gourmandes au Moyen Age, 1998, Imprimerie Nationale).
On trouve les premières recettes de vin épicé dans le Tractatus de Modo, manuscrit de recettes de cuisine écrit en latin à la fin du 13e siècle : Ad claretum componendum (I - 14), Claretum hos modo fit aliter (I - 17), Confectio pigmenti uel clareti (I - 18).
Les ingrédients des recettes du Tractatus sont vin, épices et miel, voisins des ingrédients habituels de l'hypocras (vin, épices et sucre).
En 1307, Arnau de Vilanova, théologien et médecin catalan, recommande le piment pour les malades dans son Regiment de Sanitat (règles de santé), écrit à Montpellier.
En 1324, le Sent Sovi, livre de cuisine catalan, reprend l'association de Flammenca :
- E après caldum et tots menyars que ffruyta no sia, axi con neules e piment :
... gauffres et piment (XXXXIII).
- E après doneras piment et nelles :
et après tu donneras piment et gauffres (CLXXXX).
Dans le livre de comptes de Barthélemy Bonis, riche marchand de Montauban qui fait entre autres le commerce des épices, on trouve 6 recettes différentes de pimen ou pimentas. En voici l'une des plus simples, de l'année 1347 ::
15 onces gingembre, 12 onces cannelle, 1 once ½ girofle, 3 quarterons not ycherea (graine de paradis), 2 onces spica nard (nard indien), 3 quarts de miel.
La quantité de vin n'est pas précisée car il s'agit d'un achat d'ingrédients pour faire le pimen, réalisé par le chapitre du moustier de St Théodard, à l'occasion de Noël 1347. A la même époque, l'abbaye cistercienne de St Marcel achète elle aussi les mêmes épices pour faire 3 barils de pimen. Un achat de 1345, fait par une bourgeoise de Montauban, propose une recette plus sophistiquée, avec du cubèbe, de la muscade, du galanga, du zédoaire (curcuma zédoaire) et du poivre long.
Dans le même livre de compte, pour les années 1346 et 1347, le piment est acheté par un procureur et par un bourgeois de Montauban, sur ordonnance médicale, ce qui confirme que le vin épicé est non seulement un digestif au sens moderne du terme, mais aussi un médicament intégré à la pharmacopée médiévale.
Si le mot claret continue à être employé, avec des recettes spécifiques, le terme de pimen ou piment semble avoir ensuite disparu. Au profit du mot hypocras ?
4 - L'hypocras
Différence entre Pimen et Ypocras ?
En 1558, paraît à Lyon La pratique de faire toutes confitures, condiments, distillations d'eaux odoriférantes & plusieurs autres recettes très utiles. La première partie de ce livre comprend des recettes de confitures et se termine par 6 recettes d'ypocras et une recette de pyment. La seule différence entre ces recettes est la présence de sucre dans les recettes d'ypocras et la présence de miel dans la recette de pyment. On peut donc supposer que le piment, vin épicé sucré au miel à l'origine, est devenu ypocras quand le sucre a remplacé le miel. Et le nom de piment a donc survécu pour un vin épicé au miel. Mais comme le sucre est une épice/médicament plus noble que le miel dans l'imaginaire médiéval, on comprend que le piment ne soit pratiquement plus mentionné dès le milieu du 14e siècle.
Boisson européenne
On trouve des recettes d'ypocras ou hypocras en Espagne, en Italie, en France, en Angleterre et en Allemagne. Dégusté dans toute l'Europe, l'ypocras est l'apéritif et le digestif préféré des gens de goût jusqu'à Louis XIV. Avec l'essor des alcools distillés, à partir du 17e siècle (Armagnac, Cognac, Whisky, Vodka, Chartreuse...), l'ypocras est un peu moins connu, mais le Larousse Gastronomique de 1938 en donne encore plusieurs recettes, précisant qu'il s'agit d'un vin aromatisé tonique et stomachique.
La composition des recettes
Les recettes varient selon les pays et les époques. Si nous étudions les recettes de pimen ou d'ypocras à partir du 13e, nous pouvons les classer en plusieurs catégories :
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Entre le 13e et 16e siècle, il y a seulement du vin rouge, du sucre et des épices. Epices et sucre sont mélangés au vin à froid et filtrés. Les épices de base sont cannelle et gingembre. Selon les recettes s'y ajoutent clou de girofle, noix de muscade, maniguette, poivre long, galanga, etc.
Exceptions :
Une recette catalane de piment avec rose, santal et nard, une recette anglaise d'ypocras avec cardamome et marjolaine, une recette française avec nard. Une recette catalane d'ypocras, dans sa version castillane, est mise à bouillir avant filtration et le Ménagier de Paris, dans l'une de ses recettes, fait chauffer vin et sucre pour faire fondre le sucre avant d'ajouter les épices. - Au 16e siècle, la composition s'enrichit davantage : certaines recettes françaises font chauffer le mélange ou ajoutent de l'eau de vie. L'hypocras peut être fait avec du vin rouge ou du vin blanc. On y rajoute du musc et de l'eau de rose ou cardamome, calamus et coriandre. Une recette italienne ajoute de la reine des prés, tout en mélangeant vin rouge et malvoisie.
Thresor de santé, extrait : recette d'hypocras - 1607
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A partie du 17e siècle, l'orthographe se stabilise et on ne parle plus que d'hypocras. L'hypocras s'enrichit de fruits : oranges, pommes, citrons, amandes, voire de musc, d'ambre, de fleur d'oranger. Une recette contient même du lait. Selon les recettes, l'hypocras oscille entre la sangria et le parfum à boire (impossible à réaliser aujourd'hui).
Mais des recettes d'hypocras, plus simples, façon médiévale, se retrouvent encore dans un livre de pharmacie au 18e siècle. L'hypocras est toujours réputé bon pour aider la digestion, pour résister au venin, pour donner de la vigueur à ceux qui n'en ont pas assez ! - A partir du 19e siècle, l'hypocras est tout à fait perdu et ignoré, dit Alexandre Dumas dans son Grand Dictionnaire de cuisine. Mais le Larousse gastronomique de 1938 en parle encore comme d'un vin aromatisé tonique et stomachique [...] très apprécié anciennement.
5 - Les recettes
La première recette d'hypocras (ypocrasse ou ypocras) a été écrite, en anglais, dans le Forme of Cury, en 1390.
Ensuite, les recettes se succèdent. En voici une liste qui reste à compléter (en particulier pour l'Italie et l'Allemagne) :
- 1393 : Ménagier de Paris : pour faire ung lot de bon ypocras (2 recettes)
- 15e siècle : l'édition imprimée du Viandier de Taillevent : ypocras
- 1508 : The booke of Kervinge and Sewing
- 1529 : Libro de guisados de Ruperto de Nola (version en castillan du Llibre del Coch de Robert de Nola)
- 1555 : La pratique de faire toutes confitures, condiments, distillations d'eaux odoriférantes & plusieurs autres recettes très utiles (6 recettes d'ypocras et une recette de pyment).
- 1593 : Secreti de Stefano Francesco di Romolo Rossetti
- 1600 : Le théâtre d'agriculture et mesnage des champs d'Olivier de Serres (2 recettes différentes plus une recette pour donner au bon vin le goust de l'hypocras, à l'instant qu'on se veut mettre à table).
- 1607 : Le thresor de santé (9 recettes différentes, de la plus simple comportant 3 épices à la plus sophistiquée avec 9 épices)
- 1660 : Le confiturier françois, Massialot
- 1689 : Le sieur de La Varanne, recette d'hypocras blanc
- 1692 : La Maison réglée d'Audiger : pour faire de bon hypocras blanc et rouge
- 1723 : The cooks and confectioners Dictionary, de John Nott
- 18e ? : Le Petit Albert (Pour faire en peu de temps de l'hypocras excellent)
- 1768 : Le Cannameliste français
- 1850 : La cuisinière de la campagne et de la ville.
La base de l'hypocras est à l'origine : vin, sucre, épices. Selon l'index et glossaire du livre de 1780 contenant le Forme of Cury, l'hypocras à base de sucre est destiné aux lords, celui fabriqué avec du miel est pour le peuple ! Le sucre est, au Moyen Age, considéré comme un produit de luxe, classé parmi les épices, avec des vertus médicinales, comme les épices.
Comme cela arrive souvent, les recettes deviennent baroques à mesure que le temps passe. Le nombre et la quantité des épices varient selon les recettes, mais du 14e au 16e siècle, il n'y a que des épices (plus de la marjolaine, dans le Forme of Cury ). Les recettes à partir du 17e siècle (Louis XIV aimait, paraît-il, l'hypocras) s'enrichissent de fruits : oranges, pommes, citrons, amandes, et même lait chez Audiger.
L'hypocras est également utilisé en cuisine : il existe plusieurs recettes médiévales de poires à l'hypocras. En 1656, Pierre de Lune propose une recette de potage de sarcelles à l'hypocras et une recette d'oeufs à l'hypocras. Nous recommandons le melon à l'hypocras, qui remplace avantageusement le Porto (recette moderne).
Avec l'essor des alcools distillés, à partir du 17e siècle (Armagnac, Cognac, Whisky, Vodka, Chartreuse...), l'hypocras a peu a peu été oublié.
Angleterre
Extrait du Forme of Curry, édition de 1780
Transcription :
Pur fait Ypocras.
Treys Unces de canell. Et iij unces de gyngener. spykenard de Spayn le pays dun deneres. garyngale. clowes, gylofre. poivr long, noiez mugadez. maziozame cardemonij de chescun i.qrt douce grayne [?] de paradys flour de queynel de chescun dimid unce de toutes. soit fait powdour and serve it forth.
Notre proposition de traduction :
Pour faire Ypocras.
Trois onces de cannelle. Et 3 onces de gingembre. Pour un denier (un sou) de spic nard d'Espagne. Garingal. Clous de girofle. Poivre long, noix de muscade. Marjolaine, cardamome, pour chacun un quart d'once. Graine de paradis, fleur de cannelle, de chacun un dixième d'once (?). Ainsi soit fait la poudre et utilisez la.
Cette recette donne des proportions pour fabriquer la poudre d'hypocras, mais pas les quantités pour faire l'hypocras lui-même, et oublie l'essentiel (comme cela arrive souvent dans les recettes médiévales, car c'était en principe connu de tous) : mélanger la poudre avec du vin et du sucre (ou du miel), laisser reposer et filtrer.
The Forme of Cury - 1390
Pour faire Ypocras. Trois onces de cannelle. Et 3 onces de gingembre. Pour un denier (un sou) de spic nard d'Espagne. Garingal. Clous de girofle. Poivre long, noix de muscade. Marjolaine, cardamome, pour chacun un quart d'once. Graine de paradis, fleur de cannelle, de chacun un dixième d'once (?). Ainsi soit fait la poudre et utilisez la.
The English Housewife - 1615
Prenez un gallon de vin claret ou de vin blanc, et mettez dedans quatre onces de gingembre, une once et demie de noix de muscade, un quart de clous de girofle, 4 livres de sucre; mélanger et laisser dans un pot au moins douze heures, puis passer à travers un sac propre prévu à cet effet, afin de séparer le vin des épices.
France
Le Ménagier de Paris - 1393
Ypocras. Pour faire pouldre d'ypocras, prenez un quarteron de très fine cannelle triée à la dent, et demy quarteron de fleur de cannelle fine, une once de gingembre de mesche trié fin blanc et une once de graine de paradis, un sizain de noix muguettes et de garingal ensemble, et faites tout battre ensemble. Et quant vous vouldrez faire l'ypocras, prenez demye once largement et sur le plus de ceste pouldre et deux quarterons de succre, et les meslez ensemble, et une quarte de vin à la mesure de Paris.
Traduction J. Pichon
Olivier de Serre - 1600
Prenés une once et demie fine canelle, demie once racines d'iris de Florence, une dragme graine de paradis, antant de gingembre, le tout mis en poudre : une livre demi-quart succre fin concassé. Ces choses seront infusées dans le vin, comme dessus et avec icelui de mesme passées par la chausse; y ad-joustant lors, cinq ou six amandes douces, concassées, ou un peu de lait de vache, pour clarifier l'hypocras et le conserver longuement en bonté, sans s'esventer ni sentir le vase.
Pharacopée universelle - 1738
Vin hypocratique ou hypocras. Prenez de très-beau sucre blanc pulvérisé, deux livres & demie, des amandes douces concassées, quatre onces, de la canelle grossierement battue, une once & demie. Mêlez ces trois drogues, & les laissez infuser pendant vingt-quatre heures dans sept pintes de bon vin rouge, & une chopine d'eau de vie.
Coulez-les ensuite deux ou trois fois par la manche d'hypocras, puis dissolvez, dans la colature clarifiée demi grain d'ambre gris, & autant de musc, pour faire un vin hypocratique.
La cuisinière de la campagne et de la ville - 1850
Mettez dans une terrine une bouteille de bon vin rouge ou blanc, trois quarterons de sucre concassé, un peu de cannelle, de poivron, de gingembre par tranches, 12 clous de girofle, 2 feuilles de macis, une pomme de reinette en tranches; laissez reposer jusqu'à ce que le sucre soit fondu, et passez à plusieurs reprises dans une chausse où vous aurez placé une douzaine d'amandes douces concassées, mais non pelées. Mettez en bouteilles.
Epices: clou de girofle, noix de muscade, cannelle, gingembre
Espagne
Livre de cuisine de Robert de Nola - 1525
Cinq mesures de cannelle, trois mesures de clous de girofle, une mesure de gingembre. Le vin doit être pour moitié de vin blanc et pour moitié de vin rouge. Pour deux pintes de vin, il faut six onces de sucre. Mélange le tout et verse dans un petit pot en terre vernissé. Fais bouillir. Dès que le liquide bout, passe-le à la chausse à filtrer autant de fois que nécessaire, jusqu'à ce qu'il soit bien clair.
Traduction Nathalie Peyrebonne.
Italie
Secreti de Stefano Francesco di Romolo Rosselli - 1593
Façon de préparer un vin aromatique composé de ce que l'on appelle hypocras, et que nous avons obtenu de Son Excellence Illustrissime Madame Isabelle de Médicis Orsina. Préparé pour Son Excellence ainsi que pour le Grand-Duc François : cela leur a beaucoup plu.
Prenez six onces de cannelle fine en branche, grossièrement écrasée; une once et demie de gingembre d'Abul; deux onces de maniguette: deux drachmes de clous de girofle; une demi-once de noix muscade; deux drachmes de galanga et une drachme de reine des prés. Lorsque tu auras grossièrement écrasé chaque ingrédient, tu les mettras dans un pressoir ou dans un filtre en feutre ou autre. Ensuite, tu prendras un bocal et demi d'un grand vin rouge et doux, six demi-bocaux de belle et bonne malvoisie, et tu les mélangeras. Après cela, tu prendras six livres de sucre fin en pain: tu le pileras et le dilueras dans six livres du même vin rouge que ci-dessus, puis tu le feras passer par le même filtre que tu auras utilisé pour l'autre vin avec les épices : ceux-ci devront infuser un peu avant d'être filtrés. Lorsque tout sera mélangé, tu feras repasser par le filtre autant de fois qu'il le faudra pour que tout redevienne aussi clair et coule aussi commodément qu'au début. Et si tu mets sic grains de musc dans la pointe du filtre, cela deviendra excellent. Si tu le fais avec le vin seulement, sans malvoisie, ce sera tout aussi délicieux.
Traduction Rodrigo de Zayas.
6 - Les fêtes médiévales
Quand les fêtes médiévales deviennent à la mode, quand les historiens redécouvrent les livres de cuisine anciens, on redécouvre l'Ypocras.
Actuellement l'Ypocras ou hypocras
Cette boisson, généralement orthographiée hypocras, est fabriquée par des amateurs passionnés de cuisine historique à l'occasion de fêtes médiévales ou de banquets médiévaux, en France, en Italie, en Allemagne ou en Angleterre. Les recettes employées sont parfois très voisines des recettes médiévales, parfois beaucoup plus éloignées, mais communiquent toutes sur une boisson médiévale historique, à l'image de la variété des fêtes médiévales, parfois plus proches d'un parc d'attraction que d'une reconstitution historique.
On trouve également 4 types d'hypocras ou ypocras dans les circuits de vente :
- Des boissons dont les recettes de fabrication se rapprochent des recettes médiévales d'origine, sans ajout d'alcool. On peut les qualifier d'historiques.
- Des boissons dont les recettes de fabrication se rapprochent des recettes médiévales d'origine, avec ajout d'alcool, titrant 16°. On peut les qualifier d'historiques, mais pas vraiment médiévales : l'ajout d'alcool débute au 16e siècle.
- Des boissons dont les recettes sont une création syncrétique à partir de plusieurs recettes traditionnelles : par exemple, on mélange sucre et miel, avec ajout de roses comme dans la recette catalane de piment (début 14e), on y met de l'orange comme dans les recettes du 17e siècle.
- Des boissons avec ajout de parfums inconnus dans les recettes médiévales d'origine : ajout de fruits, comme dans les recettes du 17e siècle, boisson parfumée à la châtaigne, à la violette, à la framboise ou à la mure, mélange de vin et jus de raisin, etc. Dans ce cas, il s'agit de boissons modernes, créatives, qui communiquent sur l'image de l'hypocras médiéval historique, sans être des boissons historiques.