Herbes à porée

Soupe, potage, porée, herbes à porée, soupe de légumes ... en Europe médiévale.

Texte : Marie Josèphe Moncorgé

La porée, véritable plat identitaire de toute une époque, se présente comme une soupe épaisse de feuilles vertes, d'oignons, de pain, que l'on fait cuire longuement dans un chaudron posé sur un lit de braises. Il en existe de plus raffinées, au lait d'amandes ou à la viande; on en trouve de vertes, noires ou blanches, pour les palais délicats. Le terme est parfois même synonyme de repas, tout simplement. (Les Bonnes Herbes du Moyen âge, Laetitia Cornu, Publisud 1999).

Le mot de porée, utilisé entre le 12e et le 16e siècle est dérivé du latin porrum qui donne aussi poireau. Porée ou poirée désigne également la blette. Le poireau et la blette étant les 2 légumes de base de la porée. On trouve déjà ensemble poireaux et blettes chez Apicius, dans la catégorie Pulmentarium ad ventrem (Liber III - II, potage pour le ventre).

Porée et potage ne sont pas des mots synonymes : la porée est soit une soupe ou un potage (au sens actuel du terme), soit une purée, alors que le potage médiéval est une appellation plus générique pour désigner (principalement) une viande ou un légume cuit dans le pot. Les recettes de porée du Ménagier de Paris sont classées dans la rubrique Potages ordinaires sans épices et clairs, alors que le brouet de cannelle (102) ou le civé de lièvre (116) sont des Autres potages épaissis gras.

Bien que tous les hachis d'herbes ne s'appellent pas porée (Menestra d'herbette, Martino 146), la porée est donc un hachis de légumes verts. Sa composition varie selon le milieu social : mélange de légumes verts du jardin et d'herbes sauvages avec du pain trempé, pour les plus pauvres, mélange plus sophistiqué avec charcuterie ou viande, lié au pain ou au lait d'amandes, additionné d'épices pour les plus riches. La couleur varie en fonction de la composition de la porée : elle sera blanche quand elle est confectionnée avec du blanc de poireaux, elle sera verte quand elle est confectionnée avec des feuilles de blettes, d'épinards et autres herbes (il est alors recommandé d'esverder les feuilles, c'est à dire de les hacher, puis de les tremper dans l'eau froide, pour que la porée soit plus verte), elle sera noire quand on y met des lardons frits.

La porée est plus ou moins épaisse selon la recette, elle va de la soupe à la purée. Le Ménagier de Paris précise dans une de ses recettes de porée blanche (50) : Nota que aucunement a poreaulx l'en fait lyoison de pain (Nota qu'on fait parfois une liaison à base de pain pour les poireaux). Ce qui sous entend que la recette sans liaison au pain doit être relativement liquide. Le traité toscan Ricette d'un libro di cucina del buon secolo della lingua propose une porrata bianca (21) qui précise : questa vivanda vuol esere bianca et bene spessa (ce met doit être blanc et bien épais). La liaison est obtenue cette fois-ci par 2 livres d'amandes pour 4 bottes de poireaux.

Etablir une liste exhaustive des herbes à porée est un peu illusoire. Le Ménagier de Paris parle de la porée de choux alors que nous avons classé le chou dans les légumes. Le nombre de légumes classés dans les herbes à porée est variable. Lorsque la ménagère prépare actuellement une soupe de légumes, elle n'indique pas forcément tout ce qu'elle y met. Cela sous entend une base classique (poireau, pomme de terre à notre époque) à laquelle se rajoute des légumes de saison. Il semble qu'il en soit de même pour la porée médiévale. Quelques légumes de base sont mentionnés dans certaines recettes : poireau, blette, arroche ou épinard, parfois bourrache ou cresson. Mais la porée est ouverte à toute une gamme d'herbes sauvages ou de légumes verts. Plusieurs de ces herbes sont des cousines de l'épinard, de la famille des chénopodes, peu à peu délaissées au profit de l'épinard. Arroche, bourrache et chénopode bon-henri sont actuellement des herbes oubliées qu'on redécouvre chez les grainetiers spécialisés.

Tractatus de Modo propose une recette de porée commune réduite à sa plus simple expression : il ne propose qu'une technique, sans prendre la peine de donner les légumes correspondants, dont la liste doit être évidente pour le cuisinier de l'époque.

Toute porée commune :
On coupe en petits morceaux (Laetitia Cornu : les feuilles choisies) et on lave à l'eau chaude et on fait bouillir un peu. Puis on essore bien et on pile au mortier, ou on hache au couteau, puis on ajoute de la graisse animale et on cuit.

Certains cuisent au lard. Certains ajoutent de la farine de gruau ou de gâteau dont on se sert en Gaule dans chaque brouet carné.(V-4, traduction Laetitia Cornu).

Taillevent (édition imprimée du 15e siècle) propose également une recette de porée sans mentionner les légumes choisis :

Pour faire poirée, soit faire bouillir en eau bouillante et puis la mettez sur un ays et hachez menu.

Liste des herbes à porée

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Arroche

herbes à porée : arroche du platearius

Atriplex : arroche du Platearius, Le livre des simples médecines (extrait), manuscrit français 12322 de la Bibliothèque nationale de Paris.

L'arroche : famille des chénopodiacées, genre Atriplex hortensis.

L'arroche est originaire du centre de l'Asie, elle s'est ensuite disséminée dans toute l'Europe, où on la rencontre à l'état sauvage. Elle était connue des romains, mais il n'y a pas de recette chez Apicius. L'arroche est une des herbes à porée qui a finalement été supplantée par l'épinard. On la retrouve dans la liste des légumes du capitulaire de Charlemagne (à une époque où l'épinard est encore inconnu dans l'Occident chrétien). Dans le Liber de Coquina, elle est associée à l'épinard dans une recette commune : De spiniargiis et atriplicibus (épinards et arroche). C'est également, au Moyen Age, une plante médicinale pour traiter la jaunisse et l'épilepsie.

On a pratiquement oublié l'arroche depuis cent ans. C'est une plante complémentaire de l'épinard : on récolte les feuilles d'épinard au printemps et à l'automne (il supporte mal le chaud) alors que l'arroche se récolte tout l'été à partir de mai. On consomme l'arroche de la même manière que l'épinard.

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Blette

herbes à porée : blette du Platearius

Bleta : blette ou bette du Platearius, le livre des simples médecines (extrait), manuscrit français 12322 de la Bibliothèque nationale de Paris.

La blette : famille des chénopodes, genre Beta vulgaris.

Appelée blette, bette, bette à cardes, poirée, ce légume a pour origine la bette maritime (Beta vulgaris maritima) qui pousse spontanément en bord de mer dans les régions méditerranéennes. La blette (Beta vulgaris cicla) a des cardes peu développées pendant toute l'Antiquité et le Moyen Age. C'est essentiellement un légume feuille, qui peut avoir des nervures blanches ou rougeâtres. Apicius donne plusieurs recettes de betas (Liber III - II, Potage pour le ventre), et utilise les blettes en accompagnement de plusieurs recettes (patina au lait, crème barrique ou porcelet à la jardinière). Les betas figurent dans la liste du capitulaire de Charlemagne. La blette ou becte est au centre des recettes de porée du Ménagier de Paris :

La porée blanche de bettes se fait comme ci-dessus (Oldcook : comme la porée de poireaux) dans un bouillon de mouton et de boeuf, mais sans porc; et les jours maigres avec du lait d'amandes ou de vache (50).

Par sélections successives, la blette a donné la betterave (Beta vulgaris hortensis, origine vraisemblable, l'Allemagne du 15e siècle). Mais Olivier de Serres en 1600, dans le théâtre d'agriculture et mesnage des champs en parle de la manière suivante : une espèce de pastenade est la bette-rave, laquelle nous est venue d'Italie n'a pas longtemps. Puis 3 sortes de betteraves ont été développées : la betterave fourragère (réservée à l'alimentation du bétail), la betterave potagère (la betterave rouge : un légume racine d'hiver qu'on achète, en général déjà cuit, au supermarché) et la betterave sucrière. Les qualités sucrières de la betterave avaient déjà été découvertes par Olivier de Serres, mais il faut attendre 1745 pour que le chimiste allemand Marggraf réussisse à extraire le sucre de la betterave et à le solidifier. C'est le Blocus continental en 1806, privant la France de ses approvisionnements antillais en canne à sucre, qui favorisa le développement de la culture de la betterave à sucre dans le nord de la France.

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Bourrache

herbes à porée : bourrache photo François Couplan

Crédit photo : François Couplan
Retrouvez les légumes oubliés, Flammarion, La Maison Rustique, 1986

La bourrache : famille des boraginacées, genre Borago officinalis.

La bourrache est originaire d'Asie Mineure. On la trouve à l'état sauvage principalement dans les régions méditerranéennes et l'Europe du Sud. Elle s'est acclimatée jusqu'en Europe centrale et elle peut être cultivée dans les jardins jusqu'en Grande Bretagne. La plante est couverte de poils. On consomme les jeunes feuilles qui sont récoltées du printemps à l'automne. Les feuilles de bourrache peuvent être ajoutées à la salade ou cuites en porée, en beignet. En Grèce, elles étaient utilisées autrefois pour envelopper les boulettes farcies. Robert de Nola mélange épinards, blettes et bourrache dans son potatge modern et Maestro Martino utilise feuilles de blette et bourrache, avec un peu de persil et de menthe pour sa Menestra d'herbette.

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Chénopode bon-henri

herbes à porée : chénopode bon-henri photo François Couplan

crédit photo : François Couplan
Retrouvez les légumes oubliés, Flammarion, La Maison Rustique, 1986

Le chénopode bon-henri : Famille des chénopodiacées, genre Chenopodium bonus-henricus.

Le mot chenopode vient du grec patte d'oie. C'est une plante sauvage des terrains vagues, également appelée épinard sauvage ou toute-bonne (elle a toujours été fortement appréciée pour ses qualités nutritives). On récolte les jeunes feuilles du printemps à la fin de l'automne. On peut les consommer crues en salade ou cuites, préparées comme les épinards. Les graines peuvent également être grillées, moulues et mélangées à de la farine de céréales pour préparer des bouillies ou des galettes.

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Cresson

Le cresson : famille des crucifères.

On trouve 3 variétés appelées cresson, qui ne sont pas du même genre : le cresson de fontaine (Nasturtium officinale qui pousse dans les lieux humides), le cresson de terre (Barbarea verna) et le cresson alénois ou passerage (Lepidium sativum), ces 2 dernières variétés poussent dans les lieux secs. Le mot cresson vient du francique kresso, qui devient kerson en ancien français.

Le cresson de fontaine est une plante sauvage des eaux peu profondes. On le trouve sur tous les continents. C'est à lui qu'on pense habituellement quand on parle de cresson. Le mot cressonnière date de 1286, ce qui sous-entend que la culture du cresson de fontaine existait à cette époque.

Le cresson alénois, appelé au Moyen Age cresson des jardins, est originaire du Moyen Orient, mais on le trouve à l'état sauvage dans toute l'Europe. On l'appelle actuellement alénois car il était particulièrement cultivé dans la région d'Orléans autrefois. On l'appelle aussi passerage, car il était censé guérir de la rage. Le cresson alénois était déjà consommé par les grecs et les romains.

D'après Jean Bottéro, une recette mésopotamienne tardive utiliserait du cresson. Dioscoride, au 1e siècle, lui trouve des vertus aphrodisiaques et au Moyen Age, on pense qu'il agit comme antidote des philtres.

Le Ménagier de Paris donne une recette de porée au cresson (50), sans préciser de quel cresson il s'agit :

En carême, cresson au lait d'amandes. Prenez votre cresson et mettez le à bouillir avec une poignée de blettes hachées et faites frire dans l'huile; puis mettez à bouillir dans du lait d'amandes. En jour gras faites frire au lard et au beurre jusqu'au bout de la cuisson, puis détrempez dans du bouillon au fromage et servez aussitôt, sinon le plat roussirait. A noter que si on met du persil, il ne doit pas être éverdé.

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Epinard

L'épinard : famille des chénopodiacées, genre Spinaccia oleracea

Origine : Turkestan et Afghanistan. De là l'épinard s'est diffusé en Perse. Il était inconnu des grecs et des latins. On retrouve sa trace en Syrie au 4e siècle, puis il se développe dans tout le monde arabe avant d'arriver en Occident via l'Espagne arabe. Les arabes l'appellent isfanakh ou isbinakh, qui donne espinaca en espagnol.

Plante médicinale pour les arabes, l'épinard était très utilisé dans la cuisine arabo-persane et arabo-andalouse. L'épinard ne fait pas partie de la liste des légumes du capitulaire de Charlemagne, mais on trouve fin 13e siècle une recette de spinargia dans le Liber de Coquina et début 14e siècle 3 recettes avec des espinachs dans le Sent Sovi. La cuisine italienne du 14e siècle comporte également plusieurs recettes d'épinards. Le Ménagier de Paris recommande de semer les espinars en février ou en juillet et dit que leur feuille est longue et dentelée comme feuille de chêne.

De spiniargiis :
Liber de Coquina, I.11 (Traduction Laetitia Cornu)

Les épinards sont bien lavés dans l'eau chaude, bien égouttés et frits avec de l'huile et des oignons. Puis on met sur une soucoupe et on asperge d'épices et de sel.

Et si tu veux le faire avec du lard, mets du safran et des épices et des oignons, et si tu veux du vinaigre.

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Poireau

herbes à porée : poireau

Photo : Jacques Bouchut

Le poireau : famille des liliacées, genre allium porrum

Sur 25 recettes de bouillon de viande ou de légumes, trouvées sur une tablette cunéiforme de Mésopotamie (tablette A de Yale), on trouve 20 recettes utilisant le poireau, généralement en association avec ail, oignon et herbes aromatiques. Cette tablette daterait d'environ 1700 av.J.C, selon Jean Bottéro. Ail (allium sativum), oignon (allium cepa) et poireau (allium porrum) sont tous issus de l'ail sauvage amélioré et différencié depuis la Préhistoire, peut-être l'ail d'orient (allium ampeloprasum) ou poireau des vignes, qui pousse spontanément dans le bassin méditerranéen. Apicius donne plusieurs recettes de poireaux, qui peuvent être de grosse taille ou à bulbes (porrus capitatus). Le poireau fait partie, naturellement, de la liste des légumes du capitulaire de Charlemagne et il est, avec la blette, le légume central de la porée.

Voici une recette du Ménagier de Paris (50) :

La porée blanche est dite ainsi parce qu'elle est faite avec du blanc de poireaux, avec de l'échine de porc, de l'andouille et du jambon, en automne et en hiver, les jours gras. Sachez qu'aucune autre graisse que celle du porc ne convient. Premièrement on trie, coupe, lave et éverdit (Oldcook : blanchir ?) les poireaux qui sont jeunes, à savoir en été; mais en hiver, quand ils sont vieux et durs, il faut les faire bouillir au lieu de les éverder. Un jour maigre, après avoir fait ce qu'on a dit, il faut les mettre dans un pot avec de l'eau chaude et les faire cuire. Et après, il faut faire frire des oignons coupés et les cuire. Et après, il faut frire les poireaux avec les oignons déjà frits, puis mettre le tout à cuire en un pot avec du lait de vache si c'est jour gras. Un jour maigre ou en carême, on y met du lait d'amandes. Et si c'est un jour gras, une fois les poireaux d'été éverdés ou les poireaux d'hiver bouillis, comme on vient de dire, on les met dans un pot à cuire avec le bouillon de viande salée ou de porc, en ajoutant du lard. Nota qu'on fait parfois une liaison au pain pour les poireaux.


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Greens for porry