La cuisine arabe préislamique et du temps de Mahomet

Texte : Marie Josèphe Moncorgé

Les Arabes sont d'abord des peuples sémitiques souvent nomades, originaires de la Péninsule Arabique. Leur langue d'origine est l'arabe. On appelle maintenant Arabes aussi bien des populations d'origine arabe que des populations "arabisées", du Proche-Orient et du Maghreb, qui parlent la langue arabe. Les Arabes ont été majoritairement islamisés au VIIe et VIIIe siècle, mais des communautés chrétiennes ou d'autres religions subsistent encore au Proche-Orient. Au Maghreb, avant l'islamisation, les populations autochtones sont des Berbères, dont la langue maternelle est le berbère ou tamazight. De nombreux Berbères ont oublié leurs origines et se croient Arabes, seule une minorité parle encore le tamazight (40 à 50% au Maroc, mais 2% en Tunisie et 10% en Libye). En Egypte, les descendants des anciens Egyptiens ont perdu leur langue d'origine. Seuls les chrétiens Coptes utilisent encore le copte (issu de l'égyptien ancien) dans leur liturgie, à la manière du latin en Europe catholique. Les populations syriaques du Liban, de Syrie ou d'Irak ont majoritairement oublié leur langue issue de l'araméen, comme de nombreux Palestiniens ignorent que leurs ancêtres étaient des juifs convertis au moment de l'islamisation du Proche-Orient.

Appeler Arabes de nombreux peuples du Bassin Méditerranéen crée ainsi une confusion en laissant croire à une population homogène qui partagerait non seulement la même langue et la même religion, mais aussi la même cuisine.

De même que tous les Arabes ne sont pas musulmans, les populations arabisées à partir du VIIe siècle avaient des spécificités culinaires les différenciant nettement de la cuisine de la Péninsule Arabique.

Souvent en l'absence de textes écrits pendant la période préislamique, nous avons principalement l'archéobotanique pour nous expliquer quelles plantes étaient cultivées dans une région donnée à une période précise. Cela ne nous explique pas comment ces plantes étaient consommées. Après la fin de l'empire romain, aucun texte écrit, aucune iconographie ne nous donnent d'indications sur la cuisine du Proche-Orient. Seul le Coran, au VIIe siècle, nous fournit quelques anecdotes sur l'alimentation du prophète Mahomet. La grande cuisine arabe débute un siècle plus tard, à Bagdad, au temps des califes abbassides.

Rappelons que, dans la cuisine arabe, comme dans la cuisine romaine antique et la cuisine médiévale européenne, certains produits, originaires d'Amérique, étaient inconnus : pomme de terre, courgette, tomate, maïs, cacao, piment, poivron étaient donc absents de la cuisine méditerranéenne.


TAMBAO : La Méditerranée à table - Marie Josèphe Moncorgé

Marie Josèphe Moncorgé, La Méditerranée à table, une longue histoire commune, TAMBAO, 2013

Tome 1, la cuisine : plus d'infos.

Tome 2, fromages, desserts, boissons : plus d'infos.


La cuisine de la Méditerranée orientale avant le VIIIe siècle

Le Croissant fertile regroupe, dans l'Antiquité, les pays baignés par le Jourdain, le Tigre et l'Euphrate, l'Oronte et le Nil, de la Mésopotamie à l'Egypte, c'est-à-dire, actuellement l'Irak, la Syrie, le Liban, Israël, l'Egypte et un bout de la Turquie. C'est la région de naissance de l'agriculture et de l'élevage au Néolithique, la région où la vigne et les céréales sauvages ont été cultivées pour donner du vin, du pain, des bouillies de céréales, de la bière, bases de l'alimentation traditionnelle des pays de la Méditerranée. Les premiers fours à pain en argile, de forme légèrement conique, ont été trouvés en Mésopotamie, en Syrie et en Egypte ancienne, dès l'âge de fer. Le tannur, pour cuire les galettes de pain arabe, en est l'héritier direct.

Dans toutes ces régions, ainsi qu'en Anatolie, on retrouve de partout des ruines romaines mais aussi des influences culinaires romaines. Cela explique certaines parentés entre la cuisine romaine antique et la cuisine arabe telle qu'elle apparaît dans les recettes de cuisine à partir du VIIIe siècle. La cuisine arabe a également été influencée par la cuisine de la Perse. La cuisine de la Méditerranée orientale est comme un feuilletage : chaque couche correspond à une influence culinaire d'une époque et d'un lieu donné. L'accumulation de ces couches a produit ce qu'on appelle maintenant la cuisine méditerranéenne.

Oldcook : la cuisine arabe préislamique et du temps de Mahomet - Le Croissant fertile, carte d'Alain Houot

Croissant fertile - carte d'Alain Houot

L'Egypte pharaonique ne nous a pas laissé de recettes de cuisine mais quelques textes administratifs avec des renseignements sur l'alimentation et surtout une iconographie abondante sur l'art de découper la viande, de cuire les volailles, de récolter le miel, de faire du pain, du vin ou de la bière. Nous savons que le "caviar" de la Méditerranée ou boutargue, c'est à dire des œufs de poisson salés dont la fabrication est décrite dans des tombeaux de l'Ancien Empire en Egypte, était aussi fabriqué, entre Liban et Palestine, chez les Phéniciens.

La Mésopotamie nous a laissé 3 tablettes d'argile, écrites entre 1700 et 1600 avant JC, comportant 35 recettes de cuisine en écriture cunéiforme : des recettes de bouillons de viande et de légumes, une bouillie de céréales et une tourte aux petits oiseaux. Faire un ragoût de viande, farcir une volaille ou une pâte, cuire au four, assaisonner avec des herbes aromatiques, toutes ces opérations étaient familières aux cuisiniers de Mésopotamie.

Oldcook : la cuisine arabe préislamique et du temps de Mahomet - tablette de Yale

Les Grecs et les Romains connaissaient l'ancêtre des lasagnes : des couches alternées de feuilles de pâte et de farce (laganum en latin). On sait qu'entre le IIIe et le Ve siècle une pâte sèche appelées itrium est consommée en Palestine : elle est cuite à l'eau et des rabbins s'interrogent sur son statut religieux. On retrouve cette pâte appelée en arabe ittiyya dans des textes médicaux en Syrie au IXe siècle. On peut donc supposer que les pâtes sèches du type vermicelle se sont développées en Méditerranée orientale avant l'arrivée de l'Islam et avant de se diversifier et de se diffuser ensuite dans tout le bassin méditerranéen.

L'arrivée de la civilisation arabo-musulmane a engendré des modifications culinaires importantes dans la cuisine de la Méditerranée orientale (interdiction religieuse du vin, du porc, remplacement partiel de l'huile d'olive par la graisse de la queue grasse des moutons orientaux), tout en conservant les bases de la cuisine méditerranéenne élaborées dès l'Antiquité. Le sucre, qui permet l'arrivée des confiseries, confitures, fruits confits ou nougats et l'aubergine vont ensuite être apportés en Méditerranée par le commerce des arabo-musulmans avec l'Inde. Mais la vraie révolution culinaire va survenir bien plus tard, avec l'arrivée des produits d'Amérique (tomate, poivron, piment, courgette, pomme de terre, cacao, etc.), à partir du XVIIIe et XIXe siècle, modifiant parfois très fortement la cuisine arabe et toute la cuisine méditerranéenne. Entre l'Antiquité et l'arrivée des produits d'Amérique, on peut parler d'une continuité dans la cuisine de la Méditerranée orientale.

La cuisine de la Péninsule Arabique

L'Arabie préislamique était peuplée de tribus bédouines nomades qui vivaient de manière très frugale dans une région semi-désertique et de tribus sédentaires habitant dans les oasis. Les Bédouins nomades élevaient des troupeaux de chameaux, chèvres et moutons. Dans les oasis, les tribus sédentaires, pouvant pratiquer l'irrigation, cultivaient des arbres fruitiers, des légumes et des céréales. Eleveurs et agriculteurs échangeaient leurs produits à l'occasion de marchés.

Oldcook : la cuisine arabe préislamique et du temps de Mahomet - carte arabie

Le sud de l'Arabie, appelé "Arabie heureuse", bénéficiant des moussons, avait une agriculture, irriguée ou non, plus développée, cultivant en abondance vigne, céréales (blé, orge, sorgho, millet), fruits (dattes, figues, poires, jujubes, prunes, abricots, pastèques), légumineuses (lentille, pois, pois chiche, vesce, gesse) et exportait jusqu'en Inde ou dans l'empire romain.

La nourriture de base était frugale : bouillies de céréales ou de légumineuses, galettes de pain, dattes séchées, ragoûts de viande, laitages. Cumin et sésame, cultivés dans l'Arabie heureuse, devaient agrémenter les plats cuisinés. Les plus riches habitants des villes du sud devaient profiter, dans les ports et sur les trajets des caravanes, des produits importés (épices et aromates).

Les fouilles, en 2011 et 2012, du site préislamique de l'oasis de Kharj, dans la province de Riyadh, ont montré, dans une maison d'habitation, des os d'animaux consommés, animaux domestiques (dromadaire, chèvre), mais aussi animaux sauvages (gazelle, oryx, renard, hérisson, lézard), témoignages d'une alimentation carnée chez les bédouins du sud de l'Arabie.

Seules les traces archéologiques nous indiquent actuellement les produits cultivés à l'époque préislamique. Les tribus de l'Arabie préislamique étaient polythéistes, juives ou chrétiennes, avec les interdits alimentaires propres à leurs religions respectives. Nous n'avons aucune trace écrite de recette de cuisine de l'Arabie préislamique.

Au 9e siècle, l'écrivain arabe Jâhiz, originaire de Bassora, explique, dans un de ses livres Le livre des Avares, la nourriture habituelle des Bédouins : des dattes, du lait, du pain avec du beurre fondu et clarifié. Il cite une recette importante de la culture culinaire bédouine, le tarîd, dont il est question dans le paragraphe suivant : L'alimentation dans le Coran.

Tarîd et dattes sont décrits comme des "plats arabes", par opposition aux mets étrangers, plus diversifiés et plus riches. Ces plats étrangers sont accusés d'apporter de la mollesse, du bien être et du plaisir superflu, dans un livre qui met en scène de manière ironique le comportement culinaire des avares.

Il est intéressant de constater qu'au 9e siècle, un lettré arabe originaire de Bassora et ayant vécu à Bagdad, fasse la différence entre la nourriture bédouine traditionnelle et frugale et la nourriture persane de l'empire sassanide préislamique dont la richesse et la diversité a profondément modifié la cuisine arabe à partir du 8e siècle.

L'alimentation dans le Coran

Le Coran ou les Hadiths nous donnent quelques indications sur la nourriture du prophète Mahomet, qui a vécu entre La Mecque et Médine de 570 à 632. Les aliments cités dans le Coran sont simples : le lait, le miel, l'huile d'olive, le pain, le vinaigre, des légumes ("herbes", blettes, courges calebasse, concombre), des fruits (dattes, olives, grenade, raisin), le cœur de palmier. Poireau, ail et oignon crus sont mal considérés.

Dans l'Arabie préislamique, il était habituel de faire des sacrifices de chameaux (en fait des dromadaires) en offrande aux dieux. Mahomet, selon les hadiths, remplace ces sacrifices aux dieux multiples par le sacrifice d'un mouton qui est égorgé rituellement puis mangé pour la fête de l'Aïd. C'est, selon les théologiens musulmans, une tradition (sunna), en référence au sacrifice d'Abraham dans le judaïsme. La tradition musulmane propose de remplacer éventuellement le mouton par un bœuf, un chameau ou une chèvre.

Les récits légendaires sur la vie du prophète expliquent, par exemple dans la vie d'Aïsha, l'épouse préférée de Mahomet, que ce dernier adorait "boire du miel" quand il allait chez l'une de ses épouses et qu'il aimait les plats sucrés (en particulier le hays : un mélange de lait, beurre et dattes). Il aurait comparé Aïsha au tarîd, son plat préféré : Aïsha a la même supériorité sur les femmes que le tarîd sur les autres plats.

Le tarîd est un plat de viande coupée en morceaux, cuite dans l'eau ou un bouillon de légumes, dans lequel on trempe du pain et un peu de vinaigre. On trouve des recettes de tarîd dans les livres de cuisine arabe du Xe et XIIIe siècle.

Mahomet mangeait de manière frugale et n'aurait jamais consommé du pain de froment trois jours de suite. Pour lui, le vinaigre était le meilleur des condiments.

Le Coran présente une vision très positive de la nourriture : Que l’homme considère donc sa nourriture : c’est Nous qui versons l’eau abondante, puis Nous fendons la terre par fissures et y faisons pousser grains, vignobles et légumes, oliviers et palmiers, jardins touffus, fruits et herbages pour votre jouissance vous et vos bestiaux (sourate Abasa, 24-32). Il n'y a pas de péché de gourmandise comme dans le christianisme. En revanche, le Ramadan, période d'abstinence totale de nourriture du lever au coucher du soleil, pendant un mois lunaire et période de purification, est plus strict que le jeûne chrétien, ce dernier étant davantage un signe de pénitence.

Aliments interdits

Le Coran précise les aliments interdits (haram) par l'Islam : les boissons fermentées (le vin en particulier), le sang des animaux (l'âme de l'animal), le porc, les bêtes trouvées mortes (donc non égorgées rituellement). Un protocole de mise à mort est cependant exigé avant la consommation des animaux autorisés : il faut égorger les animaux, afin de les saigner et éviter la consommation du sang, ce qui pose plusieurs problèmes techniques : un animal domestique tué par un animal sauvage ou par un accident ne pourra pas être consommé et les animaux sauvages tués lors d'une chasse font exception. Mais tous les animaux sauvages ne sont pas autorisés à être consommés : les animaux sauvages ressemblant à des animaux domestiques (herbivores, granivores) sont licites, tous les carnassiers munis de crocs ou de serres sont interdits, y compris le sanglier dont les défenses ressemblent aux crocs. Ce rituel de mise à mort ne concerne pas les animaux aquatiques. De nombreux textes juridiques tentent de prévoir toutes les situations possibles : oubli partiel ou total des rites, des prières, viande tuée par des non musulmans. Toute viande tuée selon les rituels est considérée comme pure et déclarée halal (autorisée à la consommation).

En fait les restrictions alimentaires sont moins nombreuses dans l'Islam que dans le judaïsme. Seules les interdictions du sang et du porc sont reprises dans l'Islam. Tout ce qui n'est pas expressément interdit est autorisé. La modération alimentaire est conseillée : Mangez et buvez, évitez les excès. Il n’aime pas ceux qui dépassent les limites (sourate al A'râf, 31).

Justification des interdits alimentaires

Certains ont cherché à expliquer les interdits alimentaires du Coran et de la Bible à partir de la géographie : l'interdit du porc, commun aux deux religions, proviendrait des problèmes sanitaires rencontrés par le porc dans les pays chauds : sa chair se conserverait moins à la chaleur. C'est oublier que la viande de porc est une nourriture importante dans toute l'Asie, région qui n'est pas réputée pour son climat tempéré ! Certains textes musulmans contemporains justifient l'interdiction pour des raisons diététiques modernes : viande non diététique par excès de cholestérol ! Il est même fait appel à la Bible pour expliquer que le porc a été créé par Dieu pour nettoyer l'arche de Noé des déchets de l'arche, ce qui explique pourquoi l'animal est impur.

Et l'interdit du vin ne peut s'expliquer par la seule préoccupation de la santé alors qu'il n'y a pas d'interdit explicite des drogues (L'Afghanistan des talibans, pourtant stricte sur certaines prescriptions du Coran, n'a jamais arrêté la culture du pavot).

En fait, les interdits alimentaires, dans la plupart des religions, sont une manière de montrer sa différence et de se distinguer des autres religions. Chercher une justification scientifique à un interdit religieux est un exercice un peu vain. L'Arabie, n'a pas un climat favorable pour l'élevage du porc et on n'y trouve pas de sanglier sauvage. Les premiers musulmans cohabitent avec des chrétiens et interdire le porc, autorisé par les chrétiens, est un moyen de s'en différencier.

Le porc

Pour Mohammed Hocine Benkheira (Ecole pratique des hautes études), l'interdiction du porc dans le judaïsme et en Islam serait un héritage égyptien. Il estime qu'il n'y a pas de châtiment prévu dans l'Islam pour les mangeurs de porc, contrairement aux buveurs de vin, car le vin était connu en Arabie, contrairement au porc.

En fait, dans l'Egypte pharaonique, le porc est l'animal le plus consommé dans les milieux populaires. Cela est attesté par l'archéozoologie. Il est peut-être un peu méprisé par les élites, qui lui préfèrent le bœuf tout en possédant des troupeaux de porcs, mais sa représentation est fréquente dans l'iconographie. Si le porc n'est pas un animal utilisé dans les sacrifices aux dieux, il existe cependant Pachon, une fête tardive de la pleine lune, en mars avril, à l'époque Ptolémaïque (323 - 330 av JC), où l'on sacrifie un porc en souvenir du mythe de Seth transformé en cochon.

Oldcook : la cuisine arabe préislamique et du temps de Mahomet - Dieu Seth

En effet, le porc est consacré au dieu Seth, dont la tête ressemble à celle d'un oryctérope (mammifère fourmilier d'Afrique appelé cochon de terre). Seth est généralement présenté comme un dieu ambigu, protecteur des cycles cosmiques mais aussi brutal, dieu du désordre et de la luxure: il tue son frère Osiris, viole son neveu Horus et des déesses. L'œil d'Horus est blessé par un porc noir, manifestation de Seth. C'est pourquoi le porc est souvent appelé l'avaleur. Chaque mois, Seth, sous la forme d'un porc noir, attaque et dévore la lune. Plus l'image de Seth devient négative au fil du temps et plus l'image du cochon devient, elle aussi, négative, indépendamment de sa consommation.

Mais la truie bénéficie d'une image très positive, assimilée à la déesse Nout qui avala ses enfants pour les immortaliser. Nombreuses sont les amulettes protectrices, en forme de truie (ou d'hippopotame appelé le porc du fleuve). En fait, dans l'Egypte ancienne, la viande taboue n'est pas le porc mais le mouton, selon Youri Volokhine (maître d’enseignement et de recherche en histoire des religions, Université de Genève).

Le vin

Le Paradis, décrit dans le Coran est un lieu où coulent le lait, le miel… et le vin : il y aura là des ruisseaux à l'eau incorruptible, des ruisseaux de lait à la saveur inaltérable, des ruisseaux d'un vin délicieux à boire, des ruisseaux de miel purifié (Sourate Muhammad, 47 – 15).

Le vin est associé aux jeux de hasard : ô les croyants ! Le vin, le jeu de hasard, les pierres dressées, les flèches de divination ne sont qu'une abomination, oeuvre du Diable. Écartez-vous en, afin que vous réussissiez (Sourate La table servie, 5 – 90).

En fait, le Coran comporte plus de versets condamnant l'ivresse que de versets opposés à l'alcool. C'est pourquoi, en Turquie, l'école hanafite, d'inspiration sunnite et de tradition soufi, a toujours été accommodante vis-à-vis de l'alcool, ce qui explique la présence du raki dans cette terre d'Islam ! La Turquie dirigée par le conservateur sunnite Erdogan est beaucoup plus stricte sur le sujet maintenant.

Rappelons que le vinaigre, fabriqué par acidification du vin, était, pour Mahomet, le meilleur des condiments. Il est très présent dans les recettes de la gastronomie arabe des Xe et XIIIe siècle, ce qui implique la présence continue de vin en terre d'Islam.

La cuisine du Maghreb avant la colonisation arabe

Le Maghreb est une riche colonie romaine, avant son islamisation. Il regroupe la Numidie (un ex royaume berbère devenu province romaine, regroupant l'est du Maroc, le nord de l'Algérie et le nord de la Tunisie) et la Maurétanie (territoire des Maures, vassal de Rome, comprenant le nord du Maroc et le centre de l'Algérie).

Oldcook : la cuisine arabe préislamique et du temps de Mahomet - Carte de l'Afrique du nord romaine

L'alimentation au Maghreb est marquée par les habitudes culinaires des Romains. L'Afrique du Nord est le grenier à blé de l'empire romain. Le blé pouvait être cultivé jusqu'au sud de la Tunisie, grâce à des systèmes d'irrigation développés. Céréales, légumes et légumineuses étaient la base de l'alimentation, la viande, peu consommée, semblant avoir été surtout de la viande de chèvre.

Le De re coquinaria d'Apicius donne une recette de poulet à la Numide : un poulet bouilli puis rôti, accompagné d'une sauce aigre-douce liée à la fécule (vinaigre, miel, huile, garum, cumin, coriandre, laser, rue, dattes et pignons) et saupoudré de poivre. Cette recette est proche de recettes arabes décrites dans les livres de cuisine du Xe au XIIIe siècle.

Le garum, présent dans cette recette romaine, est une saumure de poisson proche de l'actuel nuoc mam. La fabrication du garum a été la première industrie agro-alimentaire du bassin méditerranéen. Pendant l'époque romaine, on retrouve des "usines à garum" au Maroc à Tahadart, Cotta et Lixus (Larache) sur la côte atlantique du Maroc, au sud de Tanger, ainsi qu'en Tunisie. Ces usines se développent à partir du Ie siècle av.J.C. elles sont florissantes au IIe siècle, pour décliner entre le IIIe siècle et le IVe siècle. La plus grande usine marocaine, celle de Lixus, a été abandonnée définitivement au Ve siècle.

Oldcook : la cuisine arabe préislamique et du temps de Mahomet - Carte du garum en Méditerranée

Emplacement des "usines" à garum à l'époque romaine

Le mot garum a disparu des textes culinaires, mais on retrouve dans les livres de cuisine d'al-Andalus, au XIIIe siècle, un condiment appelé murrî. Ce mot dérive du grec al-myris (saumure) et du latin muria. Il existe plusieurs catégories de murrî : le murrî mariné (murrî al-naqî), qui est le meilleur, le murrî de jus de raisin (murrî 'asîr al-'inab), le murrî de pain (murrî hubz), le murrî de blé à la nigelle (murrî hinta bil sûnîz) et le murrî de poisson (murrî hût). Le murrî de poisson est l'héritier direct du garum romain, les autres murrîs se rapprochant de la moderne sauce soja.

Les premières recettes écrites de couscous datent du XIIIe siècle et proviennent de deux livres de cuisine d'al-Andalus et d'un livre de cuisine d'Alep présentant des recettes très cosmopolites, le Kitâb al-wusla. Mais des fouilles archéologiques dans des tombes du Sahel tunisien de l'époque romaine ont trouvé des poteries à fond perforé. S'agit-il de récipients pour cuire à la vapeur, du type couscoussier ? Il semble que le mot kuskus soit d'origine berbère. Le couscous est resté un plat typique du Maghreb, jusqu'au XXe siècle, n'étant pas consommé au-delà du golfe de Syrte, en Libye, la province romaine de Cyrénaïque faisant partie du Machrek et non plus du Maghreb.

Conclusion

La cuisine arabe préislamique n'a pas laissé de traces écrites. Seules l'archéobotanique et l'archéozoologie nous transmettent quelques informations. Mais quand nous comparons les recettes de l'époque romaine et les recettes arabes des livres de cuisine à partir du VIIIe siècle, nous pouvons repérer des continuités culinaires : un goût pour les saveurs acidulées (le vinaigre) ou aigre-douces (miel ou fruits et vinaigre), l'utilisation des fruits dans la cuisine des viandes et poissons, l'emploi des herbes aromatiques et des épices.

La gastronomie arabe va se déployer entre le Xe et XIIIe siècle, en Méditerranée orientale et au Maghreb en même temps qu'une riche civilisation islamique. Mais c'est une autre histoire.



Bibliographie


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