Alcool : histoire de la distillation

Texte : Marie Josèphe Moncorgé

Distillation des huiles aromatiques pour la parfumerie dans l'Antiquité, distillation de l'eau de vie au Moyen-Age, alcool de consommation à partir du 15e siècle.

1 - Antiquité

Nous sommes vraisemblablement dans le domaine de la distillation des huiles aromatiques et de la parfumerie, mais pas encore dans le domaine de la distillation de l'alcool.

Alambic de Tepe Gawra (Irak)

Des vases (dont l'un de 37 l avec une collerette de 2 l), considérés par les archéologues comme des alambics primitifs, ont été trouvés dans le nord de l'Irak (Tepe Gawra, Mésopotamie). Ils sont datés de - 3500 ans.


Alambic de Tepe Gawra (Irak)
d'après Roget J. et Garreau Ch. 1990


Patrick McGovern, directeur scientifique du Laboratoire d'archéologie biomoléculaire de l'Université de Pennsylvania et spécialiste des boissons fermentées, conteste cette interprétation, estimant qu'il ne s'agit pas d'un alambic : le dessin ne représenterait pas la réalité du récipient.

Ces techniques de distillation auraient été également connues des civilisations de l'Indus au 3e millénaire avant J.C. (fouilles de Mohenjo Daro).

On a trouvé, dans les fouilles de Kéos, - 16e siècle (Crète), une tablette représentant un vase, posé sur un feu et surmonté d'un couvercle en cône, qui pourrait également être un alambic primitif. Le mot grec ambikos, désignant un vase cylindro-tronconique, est à l'origine du mot arabe alambic.

Aristote (philosophe grec, - 384 à - 322) a décrit le premier le principe de la distillation de l'eau de mer.

Patrick McGovern nous a signalé l'existence d'une jarre de distillation chinoise en bronze datant de la Dynastie Han (environ 1e siècle) et présentée actuellement au Musée de Shanghai. Un appareil voisin existerait aussi en Inde.

Dans la ville d'Alexandrie (Egypte), dans les premiers siècles avant et après J.C., on trouve une importante corporation de parfumeurs, possédant des alambics (ambikos) pour distiller des élixirs, des essences florales. Ces anonymes seraient à l'origine de la chimie et de l'alchimie. Un manuscrit de la fin du 3e siècle, écrit en grec par un alchimiste alexandrin Zosime de Panopolis, décrit un alambic qu'il appelle tribicos (alambic à 3 récipients).

Alambic de Zosime selon manuscrit copié au 13e siècle

Illustration sommaire de l'appareil à distiller de Zosime, trouvé dans un manuscrit copié au 13e siècle (ms 2325). Marcelin Berthelot, Collection des anciens alchimistes grecs (Paris, 1887, figure 12).


alambic de Zosime selon manuscrit copié au 17e siècle



Illustration de l'appareil à distiller de Zosime, trouvé dans un manuscrit copié au 17e siècle (ms 2252). Marcelin Berthelot, Collection des anciens alchimistes grecs
(Paris, 1887, figure 37)


Des extraits de textes de Zosime ont été diffusés à Byzance ou traduits en arabe et se retrouvent dans des textes perses et arabes.

Zosime s'est-il inspiré des Grecs, des Chinois ou des Indiens pour son alambic ? L'a-t-il transmis au monde arabe qui l'a ensuite perfectionné ?

Une légende attribue à St Patrick, moine irlandais, un passage en Egypte vers 420 et l'importation de l'alambic en Irlande. Il serait ainsi à l'origine de la fabrication du whisky irlandais (uisce beatha, eau bénite) !

Pour Liliane Plouvier, historienne de Bruxelles, spécialisée dans l'histoire de l'alimentation et de la confiserie en Europe, il semblerait que l'Antiquité connaisse bien la distillation hydraulique mais pas l'alambic qui permet la distillation de l'alcool. Il est en effet relativement simple de récupérer de la vapeur d'eau qui se condense sur le couvercle d'un récipient. Ensuite, par simple décantation on récupère de petites quantités d'huiles que contenait une décoction de plantes aromatiques, pour les utiliser en parfumerie. En revanche, pour obtenir de l'alcool en quantité suffisante, il faut refroidir rapidement les vapeurs d'alcool avec de l'eau froide (technique du serpentin). Et ce procédé n'a été inventé, semble-t-il, qu'au Moyen Age.

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2 - Moyen Age

Nous sommes dans le domaine de la médecine et de l'alchimie : on fabrique des "élixirs de longue vie ou eau de vie".

Liliane Plouvier distingue donc la distillation hydraulique et la distillation alcoolique. Elle explique, dans Les origines de l'art distillatoire, que les alchimistes arabes et perses, à la recherche de la pierre philosophale, s'intéressent à la distillation et mettent au point l'alambic.

En fait, la première référence arabe des vapeurs d’alcool qui se forment au sommet des bouteilles contenant du vin qui bout provient d’un texte du 8e siècle, écrit par un alchimiste d’origine arabe ou perse appelé Jâbir ibn Hayyân, mais connu en Occident sous le nom de Geber (ne pas confondre avec pseudo Geber, un moine franciscain du 13e siècle). Il appelle ces gouttes d’alcool qui se forment dans l’alambic araq qui signifie sueur, en référence aux gouttes de sueur sur la peau.

Ensuite 2 médecins arabes ont fait progresser le procédé de distillation de l'alcool :

A partir du 12e siècle, les occidentaux développent cette technique. Mais l'alcool obtenu est alors majoritairement un médicament réservé aux médecins et aux apothicaires.

Il a été dit que les abbayes irlandaises distillaient déjà l'eau bénite (uisce beatha) en 1170 quand les soldats d'Henri II d'Angleterre envahirent l'Irlande. Les alambics irlandais auraient déjà été taxés en 1276 par les anglais, d'après Maguelonne Toussaint-Samat (Histoire naturelle et morale de la nourriture).

Jean de Meung, dans la deuxième partie du Roman de la Rose écrite vers 1270, dit : je vois maintes fois que tu plores cum alambic sus alutel.

Arnau de Vilanova, dit Arnaud de Villeneuve (médecin catalan de l'université de Montpellier, mort en 1311) cite dans le De vinis (Le Livre des vins, éditions de la Merci, 2011) l'aqua ardens (eau ardente) et donne des recettes de macération de plantes et d'alcool. Il est le premier à pratiquer le mutage à l'alcool (procédé arabe semble-t-il) pour améliorer la conservation du vin. Les templiers du Mas Deu de Perpignan généralisent ensuite le procédé. D'où le développement de vins doux naturels dans la région.

Maître Vital Dufour, prieur franciscain d'Eauze et de St Mont dans le Gers, puis cardinal, a fait des études de médecine à Montpellier vers 1295. Il écrit, vers 1310, un ouvrage de médecine, retrouvé à la bibliothèque du Vatican, dans lequel il parle des 40 vertus de l'aygo ardento ou aygo de bito, qui serait l'ancêtre de l'Armagnac.

Quelques vertus de l'eau ardente :
Elle cuit un oeuf, les viandes cuites ou crues, elle les conserve..., si on y met des herbes, elle en extrait les vertus... Elle aiguise l'esprit si on en prend avec modération, rappelle à la mémoire le passé, rend l'homme joyeux au dessus de tout, conserve la jeunesse et retarde la sénilité...Elle fait disparaître les rougeurs de la gorge si on se gargarise fréquemment... Et si on la retient dans la bouche, elle délie la langue, donne de l'audace, si quelqu'un de timide de temps en temps en boit...

Traduction Abbé Loubès in dossier de presse du Bureau National Interprofessionnel de l'Armagnac.

L'eau ardente est utilisée en cuisine assez tardivement (à partir du 16e siècle), mais nous avons trouvé 2 recettes anglaises du 14e siècle utilisant de l'eau ardente : une recette de claré, potus clareti pro domino, qui emploie un quart de pinte d'aqua arduant avec des épices et du miel, pour faire du claré. La deuxième recette provient du Forme of Cury (1390). La recette d'entremets appelée "chastlet" (un pâté en forme de château) se termine par les mots suivants : Serve it forth with ew ardant (Servez avec de l'eau ardente). Faut-il arroser le pâté d'alcool, comme on le ferait avec de l'eau de rose ? Faut-il flamber l'alcool comme s'il y avait un canon qui crache le feu ? Faut-il boire de l'eau ardente en accompagnement du pâté ? Il n'est pas toujours facile d'interpréter correctement une recette médiévale.

D'autre part, en Italie, à la cour du Vatican au 15e siècle, les livres de compte du pontificat de Paul II (1464-1467) prouvent l'emploi de l'eau-de-vie en cuisine, à l'occasion des repas de fête.

Quelques origines linguistiques

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3 - A partir du 15e siècle

Nous sommes dans le domaine des alcools de consommation.

liqueur d'Eyguebelle

Les alambics et la commercialisation des alcools hors du domaine médical se développent à partir du 15e siècle : il y a des preuves de la commercialisation de l'aygardent, l'eau qui brûle (Armagnac), entre 1411 et 1441 en Gascogne.

L'essor commercial débute véritablement au 17e siècle (Cognac et Armagnac en France, Whisky en Grande Bretagne, Vodka en Pologne puis en Russie).

Liqueur d'Eyguebelle

Alambic en Armagnac

Alambic de l'Armagnac
Photo BNIA / Bureau National Interprofessionnel de l'Armagnac


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Alcohol: History of distillation