Fruits en Europe médiévale

Les fruits dans l'Antiquité et au Moyen Age ou à la Renaissance - Diététique et sociologie des fruits - Les fruits en cuisine - Recettes - Les fruits entre médecine et confiserie - Confitures et fruits confits

Texte : Marie Josèphe Moncorgé

Quand on observe l'iconographie médiévale, on constate que le verger est souvent présenté comme un lieu clos par des palissades en osier tressé ou par des murs. Mais il peut être aussi un lieu ouvert sur la campagne environnante. Le jardin d'arbres fruitiers, outre son rôle de donner des fruits, peut servir de cimetière dans les abbayes, mais c'est aussi le lieu de prédilection du rendez-vous des amants dans la littérature courtoise à partir du 12e siècle : dans le Roman de la Rose, au 13e siècle, la Rose habite dans le verger d'Amour et Amant est invité à danser dans le verger de Déduit (plaisir).

Oldcook : fruits en Europe, Moyen Age Renaissance - verger

Verger entouré de palissades en osier tressé
extrait du Livre de la chasse de Gaston Phébus, 15e siècle, Bnf

Dans la cuisine européenne, les fruits ont une importance qui varie beaucoup selon les époques.


Antiquité

A Sparte, le repas est généralement composé de fromage, de bouillie d'orge et de figues. Pendant l'antiquité romaine, le repas traditionnel commence généralement par des œufs et se termine par les fruits. Les fruits sont aussi fréquemment utilisés dans les plats salés, en association avec le garum et le vinaigre : les romains aiment les saveurs aigres-douces.

Ils connaissent la pastèque, les fraises des bois, le melon, les mûres, les nèfles. Ils acclimatent en Europe des fruits venus d'Asie : la pêche, l'abricot, la cerise. Pline, dans son Histoire Naturelle (Livre XV, les fruits), cite les fruits qui poussent en Italie : 15 espèces d'olives, la pomme de pin (qui donne le pignon), le coing, la grenade, la pêche, le raisin, 12 espèces de prunes, 30 espèces de pommes, 41 espèces de poires, 29 espèces de figues, les noix (sous ce nom générique, on retrouve noix, noisette et amande), la châtaigne, la cerise, et quelques fruits oubliés de nos jours : la corme (ou sorbe, le fruit du sorbier), la caroube, la cornouille. Les romains savent déjà greffer les arbres.

Oldcook : fruits en Europe, Moyen Age Renaissance - noix vertes

Noix vertes - Photo Jacques Bouchut

La cuisine romaine antique utilise également et importe la datte d'Afrique du Nord ou de Syrie. En revanche, les romains ne connaissent pas les agrumes, en dehors du cédrat (citrus medica), appelé dans les textes latins citrus. Le cédrat est un agrume proche du citron mais plus amer.

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Moyen Age et Renaissance

Au Moyen Age et à la Renaissance, on retrouve les fruits déjà connus des romains. S'y ajoutent, en provenance des pays arabes, le citron (citrus limonicum) et l'orange amère ou bigarade (citrus aurantium).

L’abricot

Oldcook : fruits en Europe, Moyen Age Renaissance - abricots

L’abricot aime bien créer la confusion et le mystère autour de lui.

Les scientifiques l’appellent Prunus armeniaca ou prune d’Arménie (on a longtemps cru qu’il venait d’Arménie, pays qui en cultive une cinquantaine de variétés et où l’abricotier est symbole national) alors qu’il vient plutôt de Chine : les Chinois en parlent déjà vers 2200 av. J.C. ! Les Grecs l’appellent armeniakon (fruit d’Arménie) puis praikokon (précoce), les Romains l’appellent praecoquus (précoce) en latin et il est décrit comme une petite pêche précoce à chair dure ! C’est effectivement le premier arbre fruitier à donner des fruits sous nos latitudes. Apicius en donne 2 recettes : un minutal d’abricots (du porc cuit avec des herbes aromatiques, du miel, du vinaigre, du vin et des abricots) et une entrée aux abricots (une sorte de purée d’abricots cuits avec poivre, menthe, garum, miel, vinaigre et vin).

À partir de l’Italie romaine il devrait conquérir l’Europe car les historiens pensent que l’abricot est probablement cultivé dans le Midi de la France à l’époque romaine. Mais l’abricot semble avoir mystérieusement disparu : le Capitulaire de Charlemagne qui recense les plantes et les arbres à planter l’ignore, à la fin du 8e siècle, et le Platine en Français, au 16e siècle l’ignore encore. Pourtant les Tacuinum sanitatis, ces manuscrits magnifiquement illustrés au 15e siècle, proposent des portraits de l’abricotier très réaliste ! Et Olivier de Serres explique comment confire les abricots au sucre en 1600. Où l’abricot s’est-il caché au Moyen Âge ?

En revanche l’abricot est cultivé dans le monde arabe, jusque dans al-Andalus. Les Arabes l’ont-ils découvert via les Romains ou via les Grecs ? Ils l’appellent en effet al-barqûq (tiré de praecoquus ou praikokon) ou mishmish. Le livre de cuisine d’al-Warraq, à Bagdad au 10e siècle, propose une recette de poulet aux abricots (décrits comme jaunes et acides) appelée mishmishiyya.

L’abricot redécouvre l’Europe chrétienne à partir de l’Andalousie arabe : al-barqûq devient albaricoque en espagnol, albercoc en catalan puis abricot en français au 16e siècle. Et depuis, l’abricot est considéré comme un arbre bien de chez nous.

L’amande

Oldcook : fruits en Europe, Moyen Age Renaissance - amandes

Amandes sur l'arbre - Photo Jacques Bouchut

L’amande douce, entière, en poudre ou sous forme de lait d’amande est le fruit sec de la cuisine de la Méditerranée. L’amandier, originaire d’Asie, dont le fruit est souvent appelé noix grecque dans l’Antiquité, est ensuite diffusé dans la Méditerranée occidentale par les Romains. Apicius, à l’époque romaine, utilise, avec modération, l’amande dans plusieurs recettes : sauce pour le cerf, pour les oiseaux ou les escalopes, lièvre farci...

Au 10e siècle, la cuisine arabo-persane utilise essentiellement l’amande sous forme d’huile dans le livre de cuisine d’al-Warrāq, en dehors du dessert aux amandes appelé lawzīnaj (de lawz, amande) : des confiseries à la pâte d’amande qu’on retrouve dans plusieurs livres de cuisine à Bagdad et en Andalousie au 13e siècle. Les amandes sont également employées en confiserie dans tout le bassin méditerranéen pour confectionner les ancêtres du nougat. Le mot lawzīnaj a connu un développement inattendu en géométrie, puisqu’il a peut-être donné le mot losange.

La gastronomie médiévale d’Orient ou d’Occident met l’amande ou le lait d’amande à toutes les sauces. Le lait d’amande remplace souvent le lait pendant les jours maigres où la viande et les laitages sont interdits par la religion catholique. L’Anonyme Andalou, au 13e siècle, utilise de l’amande dans plus de 30 % de ses recettes. En France à la fin du 13e siècle, le Manuscrit de Sion, ancêtre du Viandier de Taillevent, présente plus de 7 % de recettes avec amande ou lait d’amande. 13 % des recettes de l’édition imprimée de Taillevent et 39 % des recettes de Maître Chiquart contiennent de l’amande, au 15e siècle. En Italie, à la cour de Naples, au 13e siècle, le Tractatus de modo preparandi propose 21,5 % de ses recettes avec des amandes et le Libre del Coch, livre catalan écrit dans la région de Naples au 15e siècle, présente près de 5 % de recettes avec de l’amande. Lancelot de Casteau, dans une cuisine d’inspiration italienne à la fin du 16e siècle, a encore plus de 6 % de recettes avec de l’amande alors que les Pays Bas méridionaux ne font pas partie de l’aire de culture du méditerranéen amandier. Fruit du soleil, l’amande est, au moins jusqu’à la Renaissance, utilisée dans les plats jusqu’en Allemagne et Angleterre.

La bigarade ou orange amère

Oldcook : fruits en Europe, Moyen Age Renaissance - bigarades et orange

Bigarades et une orange (en haut à gauche) - Photo Jacques Bouchut

La bigarade ou orange amère est le fruit d’un arbre spontané sur les contreforts de l’Himalaya. La culture de l’orange amère est attestée en Sicile en 1094. L’orange amère ou bigarade (citrus aurantium) est la seule orange connue jusqu’au 15e siècle. L’orange douce (citrus sinensis) qu’on connaît de nos jours n’arrive en Europe qu’au 15e siècle et on la retrouve en cuisine seulement au 16e siècle.

Les recettes anciennes antérieures au 17e siècle sont donc toutes faites avec de la bigarade.

Le nom d’orange vient du persan nârang puis de l’arabe narendj, qui donne auranja en provençal, naranja en espagnol et arancia en italien. L’anglais orange vient du français.

On dit généralement que sont les Portugais qui auraient rapporté l’orange douce d’Asie (Inde ou Chine). Les Arabes l’ont appelée burtuqâl en arabe, en référence au Portugal. Ce mot a été repris en Grèce (portokali), en Turquie (potakal), en albanais (portokallë), en bulgare (portokal) et en roumain (portocală).

L’orange amère ou bigarade peut être utilisée en cuisine en remplacement du citron. C’est une synthèse acidulée de l’orange et du citron, sans la douceur de l’orange mais avec son goût, tout en ayant l’acidité du citron.

L'orange amère était utilisée pour assaisonner le poisson grillé ou bouilli dans les recettes de Maestro Martino, Robert de Nola ou Scappi.

La bigarade est également excellente en confiture et ce sont ses fleurs qui sont utilisées pour faire l’eau de fleur d’oranger. L’huile essentielle de néroli est également issue de la distillation des fleurs de bigaradier.

Pour en savoir plus : Article paru sur Aquisud

Le cédrat

Oldcook : fruits en Europe, Moyen Age Renaissance - cédrats et citron

2 cédrats et un citron - Photo Jacques Bouchut

Les pommes d’or du jardin des Hespérides, dans la mythologie grecque des 12 travaux d’Hercule, seraient en fait des cédrats. Le cédrat, originaire d’Asie tropicale (de l’Inde à la Chine et à l’Indonésie) est le seul arbre de la famille des Citrus connu en Méditerranée jusqu’au 8e siècle. Plus amer mais moins acide que le citron, le cédrat est généralement consommé confit dans le sucre ou le sel. Son jus est très utilisé en cuisine.

Chaque fois qu’il est question de citron dans les textes de l’Antiquité et du début du Moyen Âge, comme dans la Bible (où le cédrat fait partie du rituel de la fête juive de Soukkot ou fête des Tabernacles), il est en fait question du cédrat.

Comme il n’est pas toujours possible de trouver facilement du cédrat, on peut le remplacer par un mélange jus de citron, jus d’orange, dans les recettes médiévales.

Le citron

Le vrai citronnier (Citrus limon) est originaire d’Inde ou de Chine. Il serait un hybride naturel entre le Cédrat (Citrus medica) et la Lime (Citrus aurantifolia). Il aurait été importé en Europe par les commerçants arabes. Il est cultivé par les Arabes dès le 10e siècle. La culture du citron est attestée en Sicile dès 1095.

Les dattes

Oldcook : fruits en Europe, Moyen Age Renaissance - dattes

Le palmier dattier est un arbre cultivé depuis l’Antiquité dans les régions arides et semi-arides du Proche Orient et de l’Afrique du Nord. Traditionnellement, il se retrouve de l’Andalousie au nord ouest de l’Inde.

Les dattes sont employées aussi bien dans la cuisine romaine antique que dans la cuisine médiévale d’Orient et d’Occident, en association au vinaigre ou au citron, pour donner des saveurs aigres-douces aux viandes et aux poissons.

Le Ménagier de Paris propose une recette de rissoles pour jours maigres avec figues, dattes, raisin, pommes et noix et le savoyard Maître Chiquart met des dattes dans sa gigantesque tourte parmesine.

Le jus de datte cuit à la manière du raisiné est un classique de la cuisine arabe.

La figue

Oldcook : fruits en Europe, Moyen Age Renaissance - figue

Le figuier, de la famille des ficus, serait originaire du Népal, mais il est cultivé autour de la Méditerranée depuis des millénaires. Certains arbres seraient retournés à l’état sauvage au point qu’on ne sait plus vraiment si c’est un arbre local ou s’il vient d’ailleurs.

Dans l’Antiquité, la figue, en saison, est un aliment de base pour les esclaves, mangée avec du pain. On en gave les oies pour obtenir du foie gras parfumé, d’où le nom de foie, en français (iercur en latin).

La troisième guerre punique entre Rome et Carthage est née d’une figue fraîche carthaginoise, présentée à la Curie romaine par Caton : sa fraîcheur était la preuve de la proximité géographique des ennemis à détruire.

La figue, comme le pruneau et les raisins secs, est régulièrement employée dans la cuisine médiévale.

La fraise des bois

La grosse fraise que nous mangeons habituellement est inconnue en Europe avant le 18e siècle. Elle est une hybridation des fraises du Chili avec les petites fraises des bois européennes.

C’est le capitaine de marine Frézier qui a découvert les fraises américaines au Chili en 1712 et c’est un agronome français, Antoine-Nicolas Duchesne, qui a produit les premiers hybrides non remontants. Les premières fraises remontantes n’arrivent qu’à la fin du 19e siècle.

La fraise est donc un fruit relativement récent en pâtisserie, nos ancêtres de l’époque médiévale se contentant de manger les petites fraises des bois qui sont absentes des livres de cuisine. Une neige de fraise (l’équivalent d’un sorbet) est décrite par le livre de confiseries, Le Cannameliste, en 1768.

La grenade

Le grenadier est originaire d’Asie centrale, entre le Caucase et le Pendjab. Il existe encore à l’état sauvage en Iran, en Afghanistan, au Pakistan et sur les bords de la mer Caspienne. Il arrive très tôt sur les bords de la Méditerranée : les Égyptiens et les Phéniciens le cultivent déjà.

Les Romains pensent que le grenadier est originaire de Carthage (d’où son nom latin de punica granatum, pomme de punique (punique désigne le mot phénicien, nom du peuple qui a fondé Carthage). Les Arabes l’introduisent en Espagne au début du 8e siècle et la ville de Grenade lui doit son nom : on cultivait la grenade en abondance dans cette région.

Dans la cuisine arabe, la grenade (rummân en arabe) donne son nom à une recette de ragoût à la grenade ou rummâniyya, un plat de viande en sauce confectionné avec du jus de grenades acides. Ce plat va circuler tout autour de la Méditerranée puis qu’on va le retrouver dans deux livres italiens, l’un écrit en latin, le Liber de Coquina (de romania), l’autre écrit en toscan, l’Anonimo Toscano (di romania di polli) et dans un livre français du Languedoc, le Modus viaticorum (raymonia).

Le melon

Article dans le chapitre des légumes

L’olive

Oldcook : fruits en Europe, Moyen Age Renaissance - olive de Nyons

Olives de Nyons - Photo Jacques Bouchut

L’olive est actuellement très représentative de la cuisine de la Méditerranée. On la met en saumure et elle accompagne les salades, on la presse et elle donne de l’huile, qui est présentée comme la matière grasse typique des pays de la Méditerranée, essentielle à la diète méditerranéenne, pour ses qualités diététiques.

Il n'y a que 3 recettes contenant des olives dans le livre de cuisine d'Apicius, à l'époque romaine : l'olive est surtout un aliment populaire de base, qui accompagné de pain, nourrit les esclaves (des olives de faible qualité) comme les plus riches (des olives aromatisées aux herbes, de haute origine).

Cette pratique méditerranéenne s'est probablement perpétuée au Moyen Age, car très peu de recettes médiévales sont réalisées avec des olives.

Si l'huile d'olive est effectivement la graisse prioritaire de la Rome antique, elle est souvent remplacée par le saindoux dans l'Europe chrétienne médiévale, par la queue grasse des moutons ou l'huile de sésame au Proche Orient et par le beurre clarifié ou smen au Maghreb. L'huile d'olive ne redevient à la mode qu'à partir du début des années 1990, considérée comme plus diététique que les autres graisses.

Pour en savoir plus : Article paru sur Aquisud

La pastèque

Oldcook : fruits en Europe, Moyen Age Renaissance - pastèques

La pastèque est déjà connue des Egyptiens au 4e millénaire avant notre ère. Elle se diffuse dans le bassin méditerranéen et on retrouve des graines de pastèque en Gaule dans la région de Marseille, colonisée par les Grecs. Elle est cultivée en Andalousie arabe.

La pastèque est cultivée en Roussillon depuis le 13e siècle. Mais elle n'apparaît pas dans les livres de cuisine médiévaux du monde musulman et chrétien.

Le pignon de pin

Oldcook : fruits en Europe, Moyen Age Renaissance - pignons

Le pignon est le fruit du pin pignon ou pin parasol, arbre typique de la Côte d'Azur et des régions côtières de la Méditerranée. Le pignon est très utilisé dans la cuisine de la Méditerranée orientale (cuisine libanaise, arménienne...) mais aussi dans la cuisine italienne. Cependant, en Italie, le célèbre pesto alla genovese, cette sauce au basilic et au pignon était, à l'origine, confectionné avec des noix et non du pignon. C'est une sauce récente, puisque les premières recettes datent du début du 20e siècle. Pinocchio est le nom du pignon dans plusieurs dialectes italiens.

La cuisine romaine antique emploie le pignon dans des sauces. Le pignon est souvent présenté comme une alternative à l'amande, dans la cuisine romaine antique comme dans la cuisine catalane médiévale. Il est aussi présent dans la cuisine arabe.

Les ancêtres des nougats français s'appelaient pignolats, en référence au pignon, qui a vite été remplacé par la noix. En Angleterre médiévale, pourtant loin du pin parasol, le Forme of Cury présente une dizaine de recettes de plats cuisinés avec des pignons.

La poire

Oldcook : fruits en Europe, Moyen Age Renaissance - poires

Poires sauvages sur l'arbre - Photo Jacques Bouchut

Le poirier sauvage est originaire d'Europe. Il est rare dans la région méditerranéenne. Mais le poirier cultivé serait né, dans l'Antiquité, d'un croisement avec des poiriers d'Asie mineur. Les Romains connaissaient déjà une quarantaine de variétés.

La poire, dans la diététique hippocratique, a la réputation d'être un fruit froid difficile à digérer. Il est déconseillé de la manger crue (sauf si elle est très mûre), à jeun et en fin de repas. Pour la rendre plus présentable, on préfère la cuire dans du vin avec des épices : la fameuse poire au vin date de l'époque médiévale !

Elle est peu présente dans les livres de cuisine médiévale.

La pomme

Oldcook : fruits en Europe, Moyen Age Renaissance - pommes

Photo by Anna Kaminova on Unsplash

Le pommier sauvage est originaire d'Europe. Mais le pommier cultivé serait issu d'un croisement entre cette espèce sauvage et un pommier d'Asie (du Caucase à l'ouest de l'Himalaya). C'est un arbre bien adapté aux régions tempérées, connu depuis l'Antiquité. Il existe de nombreuses variétés de pommiers. Les Romains en connaissaient déjà une trentaine et Olivier de Serres, en 1600, parle de 47 variétés.

Le cidre, ou jus de pommes fermenté, existe depuis l'Antiquité. La cuisine romaine antique associe déjà les pommes au porc (minutal à la Matius, n° 168 chez Apicius). La cuisine arabe et la cuisine ottomane, qui aiment également les saveurs aigre-douces, rajoutent des pommes dans des plats de viande (poulet aux épices, aux coings et aux pommes de l'Anonyme Andalou au 13e siècle, mouton aux amandes, abricots et pommes chez Chirvânî en Turquie au 15e siècle). Le Ménagier de Paris confectionne des rissoles avec figues, dattes, raisin, pommes et noix et Taillevent propose une tartre de pommes qui est un chausson au pommes.

Dans la diététique médiévale, les pommes crues sont mangées en fin de repas, pour une meilleure digestion.

La prune

Oldcook : fruits en Europe, Moyen Age Renaissance - prunes

Photo by Lars Blankers on Unsplash

Le prunier sauvage est originaire d'Asie, mais introduit en Europe depuis très longtemps. Le prunier domestique existe en Europe depuis l'Antiquité.

C'est la prune séchée ou pruneau qui est la plus utilisée en cuisine, depuis les Romains, dans tout le bassin méditerranéen. Le pruneau est souvent associé au raisin sec dans les recettes médiévales et combiné au vinaigre ou au citron pour confectionner des plats aigres-doux.

La prune fraîche est mangée en début de repas, mais Hildegarde de Bingen estime que la prune crue est dangereuse pour la santé ! Le pruneau est connu pour ses propriétés laxatives au Moyen Age.

La fameuse prune de Damas aurait été rapportée de Syrie par les croisés, mais Pline en parle déjà comme d'un arbre cultivé en Italie depuis longtemps (Livre XV, XII) !

Le raisin

Oldcook : fruits en Europe, Moyen Age Renaissance - raisins dans la vigne

Photo by Emily Austin on Unsplash

La vigne sauvage (vitis vinifera sylvestris) est originaire d'Eurasie où elle était déjà présente à l'arrivée des premiers homo sapiens. La culture de la vigne est attestée dans le Croissant fertile depuis le paléolithique. La première fabrication du vin proviendrait de Transcaucasie (Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan), et les premières jarres trouvées, ayant contenues du vin, datent d'environ 6000 ans av. J.C. au Proche Orient.

Les raisins secs sont régulièrement utilisés dans la cuisine romaine, puis dans la cuisine d'Orient et d'Occident à l'époque médiévale, pour l'élaboration des sauces aigres-douces.

Autres fruits consommés

Caroube, cerise, châtaigne, coing, corme (ou sorbe, fruit du sorbier), cornouille, mûre, nèfle, noisette, noix, pêche.

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Diététique et sociologie des fruits

Les fruits ont un statut qui dépend à la fois de la sociologie et de la diététique. Comme ils poussent dans les arbres, donc près du ciel, les fruits sont alors considérés comme les plantes les plus nobles. Comme les volailles et les oiseaux, il s'agit d'une nourriture particulièrement adaptée à l'estomac délicat des élites. Alors que les fraises des bois et le melon, trop près du sol, sont les fruits les moins intéressants. La diététique médiévale se méfie des fruits. Les médecins ont tendance à vouloir les rejeter, mais comme leurs patients ne tiennent pas compte de leurs craintes, les médecins recommandent souvent de manger les fruits cuits plutôt que crus et donnent des règles assez strictes pour la consommation de ces dangereux fruits. Voici quelques règles tirées d'articles de Jean Louis Flandrin :

On retrouve ces prescriptions, par exemple dans les menus du Ménagier de Paris : il propose 2 dîners pour jours gras, avec, en 5e service : poires, nèfles et noix; un dîner avec fruits en issue.

Le menu de monseigneur de Lagny propose en entrée : deux quartes de vin de grenache […]; échaudés chauds; un quarteron de pommes de rouvel rôties recouvertes de dragée blanche; 5 quarterons de grasses figues rôties; du soret (herbe à salade), du cresson et du romarin. La desserte est composée de compote parsemée de dragée blanche et rouge, rissoles, flans, figues, dattes, raisins et noisettes.

Les noces de maître Hely, en mai, proposent : Entrée de table : pas de beurre puisque c'est un jour gras. Item, pas de cerises, parce que l'on n'en trouvait pas. Pour cette raison : pas d'entrée.

Au souper des noces, il est prévu en issue des pommes (achetées aux Halles) et du fromage. Le potage est composé de chapons au blanc-manger parsemés de grenade et de dragée vermeille et l'une des sauces qui accompagnent les rôtis est faite avec des oranges.

Pour les noces de Hantecourt, qui ont lieu en septembre, il y a raisin et pêches en entrée, ainsi que poires et noix, avec la venaison en Fromentée.

En Italie, à la Renaissance, ces prescriptions fonctionnent toujours : Christoforo da Messsisbugo présente le menu d'un grandiose banquet offert aux cardinal et duc de Ferrare, avec oranges et poires en 9e service.

Messisbugo et Scappi terminent généralement les banquets avec des fruits confits ou cuits dans du vin ou sucrés : poires, melons, citrons, amandes, coings, grenade, châtaignes...

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Les fruits en cuisine

La notion de plats sucrés et plats salés, avec un ordre rigide dans le repas, est une idée étrangère à la gastronomie du Moyen Age et de la Renaissance. Comme on peut commencer le repas avec un fruit, on peut très bien mettre des fruits dans des plats de viande ou de poisson et on en trouve de nombreuses recettes dans toute l'Europe. Cette habitude date des romains et n'a été abandonnée qu'à partir de la cuisine dite classique. Seuls les français préfèrent, au 14e siècle, les saveurs acides, dans les plats et les sauces.

Fruits acides

Dans la cuisine arabo-andalouse du 13e siècle, en complément du vinaigre et du verjus, on acidifie les plats avec des pommes acides, du cédrat ou des grenades. En Europe chrétienne, les recettes, d'origine arabe, au jus de citron s'appellent Limonia (ou limonea dans le Sent Sovi) et on les retrouve en particulier dans le Liber de Coquina, l'Anonimo Toscano, l'Anonimo Veneziano et le Modus. Les recettes avec du jus de grenade s'appellent Romania (Liber de Coquina, Anonimo Toscano, Modus). Le Libre del Coch utilise aussi le jus de citron et d'orange pour des sauces.

On emploie du citron confit dans la cuisine arabo-andalouse, que l'on retrouvera à la fin du 16e siècle, chez Lancelot de Casteau. Le Viandier de Taillevent (édition imprimée) a une recette de blanc-manger avec des grenades.

Fruits sucrés et fruits secs

25% des recettes de l'Anonyme Andalou sont faites avec des fruits, soit trois fois plus que les recettes catalanes. Mais on trouve dans les recettes salées du Sent Sovi et du Libre del Coch des pommes, des coings, des figues, des oranges, des pêches, des poires, des raisins et des grenades (Patrick Gillé, les traités de cuisine de la péninsule ibérique).

En Angleterre et en Italie, les nombreux plats aigre-doux emploient principalement les prunes, les dattes et les raisins secs, que l'on retrouve dans l'Egurdouce du Forme of Cury ou les italiens Brouet sarrasinois (Del brodo saracenico) et Ambroisie de poulet (Ambrogino di polli). Maestro Martino et l'Anonimo Veneziano ont chacun une vingtaine de recettes avec du raisin sec. Le Forme of Cury présente une dizaine de recettes avec des pignons.

Maître Chiquart, dans ses approvisionnements pour banquets, en début Du Fait de Cuisine, recommande d'avoir 6 charges d'amandes, 12 cabas de raisins confits, 12 cabas de figues confites, 8 cabas de prunes confites, un quintal de dattes, 40 livres de pignons. Dans sa recette de Tourtes parmesines (de Parme : Tortes parmeysines), il met, outre un nombre impressionnant de viandes variées, des figues, des dattes, des pignons, des prunes, des raisins. Il utilise les mêmes fruits confits pour des Tartes de poissons, des Tourtes parmesines de poisson, une très riche recette de Rissoles. Maître Chiquart propose également une Tarte de coing (Cuyns en pasté), des poires cuites et une compote de pommes (Emplumeus de pomes), recettes situées en fin de recueil et réservées aux malades.

En revanche, l'édition imprimée du 15e siècle du Viandier de Taillevent ne comporte que 3 recettes avec des fruits, une sauce au raisin (Saulce au most) et 2 desserts : Pastés de poires crues et Tartres de pommes (un chausson aux pommes, aux figues et aux raisins).

L'amande

L'amande ou le lait d'amande sont très utilisés dans toute la cuisine médiévale et dans tous les pays. Ce fruit sec est majoritairement utilisé pour apporter un liant supplémentaire aux sauces (en complément du pain) ou pour remplacer le beurre et le lait les jours maigres. On trouve l'amande aussi bien avec des plats de viande que des plats de poissons. Elle fait aussi partie de ces produits qui, au Moyen Age, sont à la fois considérés comme des aliments et comme des médicaments. A ce titre, ils peuvent être prescrits par des médecins. C'est le cas du sucre, des épices, de l'hypocras. Ainsi l'amande ou le sucre entrent dans la composition de plats pour malades : 10 recettes de Maître Chiquart pour malades sur 16 contiennent de l'amande.

13% des recettes de l'édition imprimée de Taillevent au 15e siècle et 39% des recettes de Maître Chiquart (1420) contiennent de l'amande.

Recettes

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Les fruits entre médecine et confiserie

Fruits confits

On termine souvent les banquets au Moyen Age ou à la Renaissance par le boute-hors : le repas est fini, la table est levée, on passe dans une autre pièce où sont servis du vin et des espices de chambre. Les épices de chambre correspondent à des confiseries confectionnées avec du sucre ou du miel dans lesquels sont confits des épices ou des fruits. On peut confire le gingembre (gingibrat), la coriandre ou l'anis, mais on trouve également des fruits confits, comme nous l'avons vu dans les menus de Messisbugo et Scappi : melons, citrons ou oranges, coings (codognat ou codonhat), grenade, châtaignes… Les fruits secs (pignons, amandes, noix) peuvent être simplement confits ou transformés en une confiserie plus sophistiquée, qu'on peut considérer comme l'ancêtre du nougat : pignolat en France, pinyonada ou torron en Catalogne, torrone ou copeta en Italie. Ces fruits confits, comme l'hypocras bu pendant "l'issue de table" sont censés favoriser la digestion et fermer l'estomac.

Les confitures de fruits

Proche des fruits confits, les confitures peuvent également être servies en fin de repas, pour les mêmes raisons. Elles ont cependant un sens nettement plus médical. Les premières recettes de confitures, comme celles de sirops de fruits, se retrouvent dans les livres de médecine comme médicaments. Comparées aux nôtres, les croyances médicales de l'époque sont amusantes : les médecins se méfient des fruits crus, ils acceptent à la rigueur les fruits cuits dans le vin et les épices et ils recommandent, comme médicament, les bonbons aux fruits, les sirops aux fruits et les confitures aux fruits. Probablement parce que le sucre ou le miel dans lequel ils sont cuits permet une sorte de transmutation du fruit et leur donne alors des vertus médicinales. La frontière est faible entre les confits médicaments et les confits confiserie.

La confiture au 12e siècle s'appelle letuaire. Il s'agit d'une préparation achetée chez l'épicier et l'apothicaire (comme les épices et le sucre). Le letuaire est d'abord un médicament, dans la tradition des médicaments d'Hippocrate, Galien, puis de la médecine arabe, de l'école de médecine de Salerne. Le letuaire s'appelle électuaire à partir du 15e siècle, ce mot continuant à être employé dans la pharmacopée du 20e siècle.

Le mot confiture désigne, à partir du 13e siècle, les aliments bouillis et conservés dans le sucre ou le miel. Ce mot regroupe tout ce que nous appelons maintenant confiserie, dont les confitures de fruits.

Cette ambiguïté entre médecine et confiserie se retrouve dans le livre des confitures de Nostradamus, médecin, qui donne des indications de soins après certaines de ses recettes de confitures. Le livre paraît à Lyon en 1552. En 1545, à Paris est publié un autre livre de confitures : Petit traicté contenant la maniere pour faire toutes confitures, dont certaines recettes s'inspirent de l'Antidotaire Nicolas, un livre de pharmacie du 12e siècle (école de médecine de Salerne), contenant des préparations héritées de la médecine arabe.

Liliane Plouvier et Mary Hyman, dans deux chapitres du Manuscrit à la Table (Montréal, 1992) sur le letuaire et les confitures ont bien résumé le sujet.

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Confitures et fruits confits

Avant le 16e siècle il est plus facile de trouver des recettes de fruits confits et de confitures dans les livres de pharmacie que dans les livres de cuisine. Seul, le Ménagier de Paris explique dans Diverses petites choses complémentaires, comment préparer une "compote" de noix, de navets, de carottes, de poires, de courges, qu'il appelle ensuite confiture. Il donne une recette de raisiné et de cotignac (pâte de coing). En France au 16e siècle, on commence à trouver des recettes dans le Livre des confitures de Nostradamus et le Petit Traicté.

En Andalousie au 13e siècle, l'Anonyme Andalou propose, dans la dernière partie de son livre, plusieurs recettes de sirops de fruits ou raisinés avec grenade, citron, dattes, pommes, raisin, figues, coings.

En Catalogne, le premier livre sur les confitures est le Llibre de totes maneres de confits, problablement écrit au 14e siècle. Il comprend 33 recettes de fruits confits et de confitures avec pastèque, amandes, citrons, coings, raves et panais, carottes, pêches, pommes, poires, noix vertes, dattes, cerises.

En Italie, à la Renaissance, Stefano Francesco di Romolo Rosselli, dans Secreti (1593) explique comment confire les coings, les prunes et les pêches. Giovanni del Turco, dans Epulario e segreti vari (1602) donne dans le Terzo Libro (livre 3) quelques recettes de fruits confits et confitures de pêches, oranges, cédrat.

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Fruit in Medieval Europe