Le sucre médicament au Moyen Age

Texte : Marie Josèphe Moncorgé

Dans la médecine hippocratique, pratiquée jusqu'à la fin du 16e siècle, en Occident, le sucre est classé parmi les produits chauds et humides (comme le gingembre, le safran, les dattes, les amandes, les olives ou l'oignon).

Les arabes introduisent le sucre dans la pharmacopée comme en cuisine. Ils inventent alors les techniques du sucre tiré, du sucre pétri et le sirop (sharab en arabe, qui veut dire mélange de sucre et d'eau). Selon les mélanges de produits, on obtient alors des médicaments ou des confiseries : bonbons médicaments appelés La'uq, nougats, massepains, confitures stomachiques (pour digérer), dragées... Avicenne donne plusieurs recettes de fruits confits.

La confiserie et la cuisine se trouvent intimement mélées à la médecine. C'est pourquoi nous parlons de confitures et de recettes de cuisine dans ce chapitre du sucre médicament.


1 - Confitures, sirops, dragées et bonbons

Le mot confiture vient de confire (conficere, préparer). Il apparaît en français au 13e siècle pour désigner les aliments cuits dans du miel ou du sucre et regroupe tout ce que nous appelons maintenant confiserie : fruits confits, pâtes de fruits, nougats, bonbons et confitures.

Entre le 12e et le 14e siècle la confiture proprement dite est appelée en français "letuaire", orthographié aussi "laituaire", "laituarie", "lectuaire"... Ce mot letuaire, couramment cité dans les traités médiévaux de médecine en tant que médicament, vient du latin electuarium et désigne un médicament à lécher ! En réalité, on trouve les letuaires, consommés en fin de repas, dès le 12e siècle, lors de l'Yssue ou du Boutehors, comme le sont alors les "épices de chambre" : Dates, figues et noiz muscates/ Et girofle et pomes grenates/ Et leituaires an la fin (Perceval le Gallois, cité par Liliane Plouvier, dans Du manuscrit à la table).

Confiserie ou médicament : il y a confusion dès l'origine ! Et cette confusion persiste jusqu'à maintenant : ne donne-t-on pas encore aux enfants du sirop à boire pour se désaltérer et du sirop pour soigner la toux ? La dragée est encore une "confiserie recouverte de sucre durci" et une "préparation pharmaceutique à sucer, formée d'un médicament recouvert de sucre" (Définitions Petit Robert). La confiture de tamarin est un médicament laxatif.

Liliane Plouvier, dans Du manuscrit à la table (colloque de Montréal, 1992), explique clairement l'origine de la confiture : c'est un médicament à lécher d'origine mésopotamienne, repris par la médecine hippocratique. On retrouve la trace de ces "sucreries" chez Dioscoride, Pline, Galien et dans les antidotaires du Haut Moyen Age (recueils de médicaments). Sont alors cités dans la liste des electuaria la gelée et la pâte de coing, d'autres pâtes de fruits secs et même une recette carolingienne de nougat (amandes amères, pignons, semences de lin, amidon, gomme adragante, réglisse et miel).

Pour la médecine médiévale arabe, les sirops sont censés rafraîchir les humeurs, nettoyer les estomacs, calmer les ardeurs, la toux et la fièvre. La pâte de coing allège le ventre qui souffre de bile, supprime l'amertume de la bouche et excite l'appétit. La pâte de violettes est contre la toux sèche, adoucit le ventre, coupe la soif bilieuse et coupe la bile à sa sortie, si Dieu veut (traductions françaises de Lucie Bolens d'un texte de l'Anonyme andalou, transcrit par Huici Miranda). La science médicale arabe arrive en Occident via l'Espagne et l'Italie. Les médecins de Salerne fabriquent des electuaria à base de miel ou de sucre (pâtes de fruits, confitures, dragées).

Un traité de pharmacie, connu et respecté en Europe jusqu'au 18e siècle, l'Antidotarium Mesuae , écrit au 12e siècle par "Pseudo-Mésué" (Mésué était un médecin arabe du 9e siècle : il était courant au Moyen Age d'emprunter un nom célèbre pour obtenir une certaine notoriété) comporte un certain nombre de recettes de confiseries, empruntées à la médecine arabe (pâtes de fruits, massepain, nougat, sirops) ou inventées par lui (confitures de pommes, de pêches, de prunes). Certaines confiseries sont considérées comme des médicaments purs, mais certaines autres ont bien le statut mixte des épices : médicament pour aider à la digestion et produit de gastronomie à servir en fin de repas.

Oldcook : sucre médicament au Moyen Age : Pignolat de Nostradamus

Interprétation moderne du Pignolat de Nostradamus
Le Petit Duc à St Rémy de Provence

Nostradamus, surtout connu comme astrologue alors qu'il est aussi médecin, écrit un livre publié à Lyon en 1555 : Le vray et parfaict embellissement de la face suivi de la Seconde partie, contenant la façon et manière de faire toutes confitures liquides tant en succre, miel, qu'en vin cuit. On est encore dans le sucre médicament, et déjà dans le sucre plaisir


2 - Recettes pour malades

Le sucre étant un médicament, il est normal qu'on le trouve intégré dans des recettes pour malades. Cette catégorie particulière se retrouve dans plusieurs livres de cuisine au Moyen Age :

Sur les 9 recettes de la catégorie Potages pour malades, du Ménagier de Paris , on en trouve 6 avec du sucre en grande quantité, comportant toutes la mention "succre foison" ou "grant foison succre" ou "succrer fort".

Maître Chiquart propose également 15 recettes pro infirmis, pour malades. 10 recettes comportent du sucre, dont une recette d'écrevisses farcies (n°68) !

Taillevent, dans l'édition imprimée du 15e siècle, propose une recette de poisson (poisson, amandes, gingembre) et la termine par ces mots :
"Et pour malades, il fault du sucre".


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